Fyctia
Chapitre 12 - Enaé
Les derniers jours, je les ai passés chez mon frère, incapable de rentrer chez moi. Incapable d’affronter la solitude. Chez lui, il y a Dolby, son adorable Malinois. Ce chien ne me quitte pas d’une semelle, comme s’il devinait que j’avais besoin de sa présence. Je n’ai pas remis les pieds au travail depuis cette nuit-là. Caël m’a accompagnée au commissariat le lendemain de mon agression. Là-bas, ils m’ont envoyée à l’hôpital pour des examens, qui ont confirmé mes dires. Ma plainte a été prise en compte sans difficulté.
Dès que je ferme les yeux, je le revois. Ses mains, sales, répugnantes, qui caressent mon corps. Rien que d’y penser, j’ai envie de vomir. Ces images, elles s’accrochent à ma mémoire comme une ombre que je ne pourrais jamais effacer. Pourtant, une autre scène revient encore plus souvent : Théodore, démolissant la gueule de ce type. C’est étrange, mais cette image me rassure, comme un baume sur mes cauchemars. Grâce à lui, j’arrive à dormir, parfois sans me réveiller en sueur. Je ne pourrai jamais assez le remercier. Il n’était pas obligé de venir, surtout après notre dispute. Et pourtant, il est venu, sans hésiter, dès qu’il a reçu mon message.
Ce matin, j’ai décidé qu’il était temps de reprendre le contrôle. Assez de m’apitoyer sur mon sort. Il est presque cinq heures trente quand je termine de me maquiller. Malgré tout ce qui s’est passé, je ne laisserai pas cette nuit me priver de ma coquetterie. Le froid mord mes joues dès que je sors du luxueux appartement de mon frère. Nous vivons dans deux mondes différents, lui et moi. Il réussit professionnellement, et je suis fière de lui, même si sa vie et la mienne n’ont plus grand-chose en commun.
Quand je pousse la porte de service de mon lieu de travail, un silence étrange m’accueille. Mes collègues s’arrêtent de parler quand ils me voient. Ils détournent le regard, murmurent. Je fronce les sourcils, mal à l’aise. Puis je repère ma directrice, non loin. Elle me fait signe de la main. Mon cœur se serre. Une convocation dans son bureau, ça n’annonce jamais rien de bon.
— Installe-toi, je t’en prie, dit-elle d’un ton neutre.
— Vous me faites peur, j’avoue, je réponds, nerveuse.
— Ne t’inquiète pas, je ne suis pas là pour te faire des reproches. Je voulais savoir comment tu allais.
— Mieux, dis-je simplement.
Mieux ? C’est tout ce que je trouve à dire. Mais la vérité, c’est que je ne sais pas. Est-ce que je vais mieux ? Je l’ignore.
— Nous avons reçu ton arrêt de travail de l’hôpital. J’imagine que c’était assez sérieux pour que tu ne puisses pas venir ?
— Oui… mais ça va mieux maintenant, je répète mécaniquement.
— Très bien. Est-ce que tu te sens prête à reprendre la caisse et la mise en rayon avant l’ouverture ?
— Bien sûr.
— Parfait. Je suis contente de te revoir. Mais… tu as vraiment une mine affreuse.
Son sourire se veut bienveillant, mais sa remarque me laisse un goût amer. Je réponds par un sourire forcé et quitte son bureau rapidement. Mon cœur bat encore trop vite. Elle ne m’a pas grondée, mais cette conversation m’a épuisée. Je retourne à la réserve et commence à remplir les rayons.
Quand le magasin ouvre à huit heures trente, je suis déjà en caisse. Les clients affluent, et les fêtes qui approchent se font sentir. Les chariots débordent, les visages sont pressés. Je scanne machinalement les articles, mais mon esprit vagabonde. Il est dix heures quand je sens mon téléphone vibrer dans ma poche. Profitant d’un moment sans client, je lis le message. C’est Caël.
"Comment tu te sens aujourd’hui ?"
Un sourire s’esquisse sur mes lèvres. Cette épreuve a ramené mon frère et moi plus près l’un de l’autre. Quand nous étions enfants, nous étions inséparables. Mais la vie, les responsabilités, nous avaient éloignés. Ces derniers jours, vivre chez lui nous a permis de rattraper un peu le temps perdu. Ça m’a fait du bien. Plus que je ne l’aurais cru.
En revanche, aucune nouvelle de Théodore. Mon cœur se serre en vérifiant la date. Demain, cela fera cinq ans que Maureen est morte. Caël m’a confié que, chaque année, autour de cette date, Théodore disparaît. Il pose une semaine de congé, reste seul, injoignable. Même Caël ignore ce qu’il fait pendant ces jours sombres.
Et moi, je n’ose pas le contacter. Pas encore.
3 commentaires
Alyssa Well
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Il y a 2 mois
Scriptosunny
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Il y a 3 mois
K.C Sankr
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Il y a 3 mois