Fyctia

Peu après, quand les pas de Jamie se font enfin entendre sur le palier, son cœur opère un 3-6 dans sa poitrine, et elle mobilise toute sa volonté pour se calmer et ne pas se jeter dans ses bras. Elle se redresse néanmoins sur le canapé et grogne quand ce mouvement brusque tire un peu sur sa plaie. Il utilise la carte de déverrouillage qu’elle lui a prêtée, et il la rejoint après avoir enlevé sa veste en cuir.

— Hey, salut, tu rentres tard ! Comment ça s’est passé ?

Elle pourrait se donner des gifles à elle-même tellement son inquiétude est évidente.

— Je ne voulais pas que tu te fasses du souci, Althea, dit-il en replaçant une mèche de cheveux fugueuse derrière son oreille.

— Non, euh, ça va, bégaye-t-elle, je me disais que tu étais peut-être allé chez Tyna.

Il la dévisage un instant avant de répondre, la tête penchée sur le côté.

— Passer chez Tyna ne m’a même pas traversé l’esprit, remarque-t-il, la voix un peu éraillée. Je t’ai dit que je voulais t’aider avec ta blessure, me voici de retour.

— Ok, ok. Et donc, la réunion ?

Elle se hâte de changer le sujet de conversation, les joues brûlantes de honte de s’être montrée aussi jalouse, alors qu’il ne lui doit absolument rien.

— Ça a bien avancé, répond-il, nous ne sommes pas encore assez nombreux, néanmoins nos espions, membres de l’Ordre, ont glané des informations sur la sécurité de la Tour, et sur les bureaux dans les principales villes du pays. On a réfléchi à des moyens de renverser l’Ordre en évitant le bain de sang.

— C’est certain que ce serait préférable, commente-t-elle avec une moue.

— Voilà, nous innoverons peut-être sur ce point…

Elle émet un petit rire et grimace en même temps.

— Aw, pauvre puce. Eh, on doit checker ton pansement, au fait !

Sa fréquence cardiaque augmente d’un coup quand elle réalise ce que ça signifie.

— Oh, ok, dit-elle néanmoins sur un ton qu’elle espère neutre. Je vais chercher ce qu’il faut, et on fait ça ici, y a pas de place dans la salle d’eau.

Il acquiesce et elle se rend dans la petite pièce pour prendre les fournitures que lui a données le guérisseur hier, et attrape en plus quelques éléments du vieux stock d’Ysé, avec un pincement au cœur. « Désolée, baby, quelqu’un d’autre va me soigner à présent ».

Jamie, assis sur le canapé, lui sourit quand elle le rejoint au salon, et son cœur fait des siennes à nouveau. Elle s’assoit sur la table basse en face de lui, soulève son débardeur et le coince sur son soutien-gorge pour lui laisser l’accès à la plaie. La plus légère touche de ses doigts sur sa peau nue la fait frissonner et il murmure une excuse, pensant sûrement qu'ils sont froids. Pourtant, ils sont chauds, si chauds. Presque autant que ses propres joues.

Il a fini de dérouler la bande qui était autour de sa taille et commence à détacher la gaze de sa peau.

— Désolé, je suppose que ça va faire mal, la prévient-il, voix rauque et doigts tremblants contre elle.

— Pas de souci, t’inquiète.

Elle grogne néanmoins une seconde plus tard quand une partie de la chair à vif s’arrache avec les compresses. Il hausse les épaules et grimace pour s’excuser.

— C’est bon, je vais nettoyer maintenant, ça va piquer un peu.

— J’ai déjà été blessée, je ne suis pas un enfant, Jamie, s’offusque-t-elle, toutefois touchée par sa douceur.

— Oh, crois-moi, je sais, affirme-t-il, les doigts de sa main droite, légers comme des plumes, caressant son flanc gauche.

Ses yeux plongent alors dans les siens ; elle frissonne de plus belle et pose une main sur sa joue.

— Jamie…

Un sourire triste étire ses lèvres, et il bouge un peu sa tête pour déposer un baiser sur sa paume, avant de reporter son regard et ses mains sur la fiole d’antiseptique et de continuer son travail.

Ça ne pique pas du tout, ou en tout cas pas plus que ses doigts sur sa peau nue qui font battre son cœur plus vite et pulser son bas-ventre.

Elle le regarde travailler, note son petit tic de bouche quand il est concentré, mais surtout sa respiration un peu laborieuse et ses mains tremblantes. Ses mains qui pourraient se promener partout ailleurs sur son corps nu.

— Jamie, murmure-t-elle alors, si tu faisais le premier pas maintenant, je céderais sans hésiter.

— Je sais, Althea, dit-il dans un souffle, voilà pourquoi je ne le ferai pas. Il faut que ça vienne de toi.

Elle pousse un soupir douloureux et baisse la tête.

— Je sais.

Le pansement enfin en place, il finit de coincer la bande qui le maintient, se penche pour déposer un minuscule baiser entre son soutien-gorge et la plaie et redescend son débardeur millimètre par millimètre. Elle bloque sa respiration et affronte à nouveau son regard.

— Tu es la plus belle chose que je n’ai jamais vue, Althea, déclare-t-il. Mais maintenant, tu devrais aller te coucher avec ton bonhomme, car mon self control est sur le point de se barrer à tout jamais.

— Je suis désolée, Jamie, j’ai envie de céder aussi, cependant il y a toujours un petit quelque chose qui me retient…

Elle est sur le point de pleurer, ou de hurler, plutôt, tellement elle aimerait pouvoir se laisser aller.

— Je comprends, puce, dit-il d’une voix douce, je t’assure.

Ils se lèvent tous les deux, et elle est sur le point de dire quelque chose d’autre quand son highphone buzze à ce moment-là. L’icône du holo-message qui sort de l’appareil ne laisse aucun doute : c’est un message de Gales. Son estomac s’entortille mille fois sur lui-même, comme à chacune de ses interactions avec son père adoptif depuis qu’elle a appris l’existence de l’Alliance. Elle a réussi à l’éviter ces derniers temps, en prétextant une vie trop bien remplie avec Troy, le travail au café et les rondes le soir. Jusqu’à quand, néanmoins ?

Elle adresse un petit signe d’excuse à Jamie, et ouvre le message, dans lequel il s'excuse de son contact tardif, lui demande de ses nouvelles et lui apprend qu’il est en déplacement à Paris pour présenter un nouvel antibiotique et de nouvelles armes. Elle répond avec des banalités, et rejoint Troy dans leur lit après un simple « bonne nuit » à l’adresse de Jamie.

Une fois n’est pas coutume, ce n’est pas vers ce dernier, mais vers l’Ordre que se tournent les pensées d’Althea. Elle se demande en effet avec amertume comment l’Ordre est devenu un laboratoire pharmaceutique et technologique avant tout, et si c’est le seul appât du gain qui dicte leur conduite depuis le début. Alors qu’elle aimerait parler à Gales de ces sujets-là, elle se retient à présent, car elle a peur de placer l’Alliance en danger en lui mettant la puce à l’oreille si elle pose la mauvaise question.

***

La journée suivante se déroule peu ou prou comme celle de la veille, sauf que les garçons ne sortent pas, car il fait grand soleil. Althea est secrètement satisfaite : elle a ainsi ses deux hommes pour elle seule, et ils jouent, cuisinent et regardent des dessins animés tous les trois.

Quand, le soir, Jamie revient d’une courte ronde, Althea prend et rejette une profonde inspiration : sa décision est prise, elle doit lui parler.