Fyctia
30-Le déjeuner
Quelques jours plus tard
L’une des choses qu’Althea aime le plus chez Jamie, c’est qu’il ne ressent pas le besoin de parler sans cesse pour combler un vide gêné, comme le font la majorité des humains.
Alors, quand il rompt justement le silence ce soir-là, à la fin de leur ronde, elle grogne dans sa tête.
— Ah au fait, Tyna aimerait vous inviter à déjeuner, Troy et toi. Vous êtes libres demain ?
« Ouais, Tyna veut faire une bonne action et changer les idées de la pauvre petite veuve », pense-t-elle en grimaçant de sa propre causticité.
Elle cherche désespérément une excuse valable, mais n’en voit pas : c’est le début des vacances scolaires, et il sait qu’elle a pris une semaine de congés pour profiter de son bonhomme. Oserait-elle mentir et avancer par exemple qu’il est invité à l’anniversaire d’un copain ou d’une copine ?
— Althea ? la relance-t-il.
— Euh, ok, je crois qu’on est libres.
— Super, elle sera contente.
« Ouais, car elle pourra se coller à toi tout l’après-midi pour montrer que tu lui appartiens ».
Althea prend une grande inspiration pour tenter de se reprendre. « Il faut vraiment que je me trouve quelqu’un·e, je perds la boule et suis ridicule à être jalouse de tout le monde ». Elle fait taire la petite voix qui lui murmure qu’elle n’a jamais aimé l’attitude de Tyna avec Jamie, dès la première fois qu’elle a rencontré l’hybride, alors même qu’Ysé était avec elle ce jour-là.
— Eh, puce, ça va ?
— Oui, très bien. J’ai plein de trucs en tête, c’est tout.
« Je me demande surtout comment je vais supporter de passer quelques heures avec ton amante et toi demain ».
Bien qu’il penche la tête d’un côté pour la regarder, il ne dit rien de plus. Son immeuble est en vue de toute façon, et ils se disent vite au revoir.
Althea met un peu de temps à s’endormir ce soir-là, malgré la chaleur réconfortante de son petit garçon à côté d’elle.
***
Le bruit d’une tasse que l’on pose à côté d’elle et l’odeur du café frais la sortent d’un rêve dans lequel elle était en train de terrasser Tyna, à peine transformée en démon aux crocs acérés. Le rêve idéal pour bien aborder le déjeuner de tout à l’heure.
Elle s’ébroue pour chasser les dernières images de sa tête, et se tourne vers Troy qui attend fièrement à côté du lit.
— Merci, chou, pour le café.
— De rien, Maman ! s’écrie-t-il en s’asseyant sur le lit.
Son cœur fait des cabrioles dans sa poitrine, et elle savoure à nouveau la facilité avec laquelle il s’est approprié ce mot si banal et pourtant si important.
— On va déjeuner chez Tyna, tu sais, la copine de Jamie ?
— Cool ! Son amoureuse, c’est ça ?
Son estomac se contracte.
— Oui.
— Moi, à l’école, j’aime bien Alira, enchaîne le petit garçon sans noter la gêne de sa mère. Mais je sais pas si j’aimerais qu’elle soit mon amoureuse. Comment on sait si on a envie que quelqu’un·e soit notre amoureuxe ?
Althea se retient de ricaner face à cette question qui tombe à pic.
— C’est un peu difficile à expliquer, chou. En général, c’est quand tu penses beaucoup à la personne, lorsque ton cœur bat un peu plus fort quand tu læ vois, lorsque tu as envie de passer du temps avec ellui.
— Ah ok, je vais réfléchir. En tout cas, j’aurais jamais envie que Sara soit mon amoureuse, elle est vraiment pas cool.
Elle sourit et jalouse à nouveau la légèreté de l’enfance.
Une fois le petit-déjeuner expédié et débarrassé, elle se campe devant son placard. Elle essaie de bloquer dans son cerveau l’image de Tyna, toujours très sexy, presque provocatrice, et de ne pas se laisser influencer pour choisir sa tenue. Après tout, ils vont juste déjeuner chez des amis.
Or la femme en elle, celle qui commence à se relever d’un deuil cruel, celle qui voit sa sensualité se réveiller peu à peu, prend le pas sur la bonne copine. Elle sélectionne alors une robe longue portefeuille qui, elle le sait, dévoile juste ce qu’il faut de cuisse. Avec son meilleur soutien-gorge push-up pour souligner sa poitrine, des sandales plates pour affronter le métro, et ses cheveux lâchés et tressés d’un côté, elle se sent à l’aise et sexy à la fois.
— Wow, t’es belle, Maman !
— Merci, chouchou, tu es beau aussi, dit-elle en ajustant le col de son polo violet. Allez, viens, on va être en retard.
***
Oui, Tyna, même chez elle, est super sexy — ou alors elle a simplement oublié de s’habiller ce matin, car elle porte sans doute aucun une nuisette en soie. Une putain de nuisette !
— Althea, Troy, bonjour, entrez donc !
La jeune chasseuse commence à se crisper, mais croise à cet instant le regard de Jamie qui semble vouloir l’absorber tout entière, et elle rougit jusqu’à ce que Troy interrompe leur échange silencieux.
— Tu as vu, Jamie, j’ai choisi un polo violet en l’honneur de tes yeux !
— Merci, mec, j’avais remarqué, je suis flatté, dit-il en lui faisant un high five.
Il relève alors la tête et Althea croit voir des larmes dans ses yeux. Elle sourit et l’embrasse sur la joue avant de saluer leur hôtesse.
Sans les piaillements incessants de Troy pendant le déjeuner, qui noient les remarques condescendantes de Tyna, elle n’aurait pas survécu. Heureusement qu'il est là. Le cœur de sa maman se gonfle d’amour pour lui et elle envoie une prière silencieuse à la force, quelle qu’elle soit, qui l’a mise sur le chemin de ce petit garçon.
Pour arranger le tout, elle regrette presque son choix de tenue, car le pan de sa robe glisse sans cesse pour dévoiler sa cuisse et le regard de Jamie semble alors, chaque fois, lui brûler la peau. Et il se montre aussi très silencieux, presque taciturne, ce qui ne lui ressemble pas.
Après le déjeuner, Tyna, artiste peintre, montre sa dernière réalisation à Troy, et Althea se motive pour débarrasser la table — peut-être aider un peu pourra l’absoudre de ses pensées haineuses envers l’hybride. Elle est en train de fournir les assiettes au lave-vaisselle motorisé quand elle sent une présence derrière elle. Elle se retourne et Jamie est là, à deux pas d’elle.
— Hey, ça va ? demande-t-elle, la gorge bêtement nouée.
— Tu es superbe aujourd’hui, Althea.
Sa voix semble encore plus grave qu’à l’accoutumée, et ses yeux paraissent presque noirs dans la cuisine où les rideaux sont tirés pour le protéger du soleil.
— Oh, merci, Jamie.
— Vraiment superbe. Et tu étais coiffée ainsi la première fois qu’on s’est parlé.
Il secoue la tête, comme si c’était trop pour lui, se rapproche encore et commence à lever la main vers elle avant de se raviser. Leurs regards s’accrochent et ne se lâchent pas. Le cœur battant, Althea se demande quoi dire ou faire pour sortir de cette situation sans tout gâcher, et Troy, suivi par Tyna, la sauve à nouveau.
— Maman ! Tu m’as promis qu’on irait au parc après !
— Ok, chou, on y va. Merci Tyna, Jamie, et au revoir.
— Au revoir, Althea, Troy, à très bientôt j’espère.
Elle grimace devant l’intonation fausse de leur hôtesse, et lui adresse un dernier signe de la main, sans plus croiser le regard de Jamie — elle ne s’en remettrait probablement pas.
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