Fyctia
25-Zoo Station
Quelques jours plus tard
Dans le jardin du manoir de Gales, on pourrait presque croire que l’on se trouve dans la campagne anglaise, et pas en plein cœur de Londres.
Althea ne s'y est jamais sentie chez elle, néanmoins la grande bâtisse aux colonnes blanches, située dans Regent's Park, a tout de l’oasis rêvée.
L’ancien zoo se trouve juste à côté — les animaux sont morts depuis longtemps, mais les cages principales tiennent encore debout, seuls vestiges de l’un des plus vieux zoos du monde.
Le Grand Général les a invités à déjeuner, en ce dimanche ensoleillé, pour leur changer les idées. Officiellement. Car, au moment du café et des petits gâteaux, dont le service, comme tout ici, a été supervisé par le majordome Phileas, les choses sérieuses commencent.
— Tu sembles tenir le coup, ma chère, alors je voulais te parler de quelque chose. Que dirais-tu de revenir vivre ici ? Avec Troy, bien sûr.
Ses lèvres fines se pincent sur les derniers mots, comme s’il lui en coûtait de reconnaître l’existence du fils de son ancienne protégée.
— Merci, Gales, pour ta proposition, répond-elle d'une voix ferme, néanmoins je ne veux pas le chambouler plus que nécessaire. Même si ce n’est pas si loin que ça, il faudrait tout de même qu’il change d’école si on vient vivre ici.
— Il y a de très bonnes écoles dans le quartier.
Althea ricane intérieurement devant cette évidence — certaines choses ne changeront jamais : ça reste l’un des quartiers les plus huppés de Londres.
— Je n’en doute pas. Et je ne veux pas perturber ses habitudes, répète-t-elle sur un ton qu’elle espère calme.
— Je comprends, dit-il avec un rictus qui montre le contraire. Alors peut-être accepteras-tu enfin de prendre un vrai poste à l’Ordre. Ton job dans ton petit café ne va pas suffire, non ?
Le regard d’Althea se porte un instant sur le plan d’eau qui borde le parc à l’herbe d’un vert parfait, puis sur Troy qui escalade un arbre.
— J’ai fait quelques calculs, répond-elle en jouant avec la ceinture en soie de sa robe, et je pense que ça va suffire. L’appartement avait été acheté par Ysé, et iel l’a légué à Troy. Son école est gratuite, et j’ai de toute façon l’héritage de mes parents, qui a augmenté depuis, grâce à tes conseils sur les placements financiers.
— C’est très bien tout ça, toutefois tu pourrais être tellement plus. J’ai bien réfléchi et j’ai pensé par exemple à un poste de commerciale dans le département de l’armement ou pour notre laboratoire pharmaceutique.
— Gales, je n’y connais rien à tout ça, enfin ! s’écrie-t-elle avec un geste de défaite. Je n’ai pas fait d’études, je ne veux pas de traitement de faveur de ta part, et de toute façon je ne suis pas sûre de vouloir promouvoir ce genre de choses.
— Tu serais pourtant très bien placée pour cela. Tu utilises nos armes toutes les nuits. Et tu utiliseras les médicaments si tu es blessée un jour — ce qui n’arrivera jamais j’espère, mais tout de même !
— Parce qu’on ne pense qu’à combattre les non-humains au lieu d’essayer de collaborer avec eux, rétorque-t-elle froidement.
Un éclat qui la fait frémir apparaît dans ses yeux bleu acier.
— Tu es encore là dessus ! Je croyais que ça allait te passer, que c’était taon Ysé qui te mettait ses idées dans la tête.
« Non, Jamie, plutôt », pense-t-elle — elle n’a toujours pas reparlé de lui avec Gales, et commence à réaliser que ce ne sera jamais le bon moment pour cela.
— Je peux réfléchir par moi-même, Gales, dit-elle plutôt avec un soupir, malgré ce que tu penses de moi. Et, tu sais, même mes parents y croyaient, je me souviens que vous vous êtes disputés à ce sujet, un peu avant leur mort.
— Tes parents étaient des idéalistes, c’est vrai, avance-t-il dans un haussement d’épaules. Il n’y avait pas de fondement dans leurs idées, ça n’aurait jamais tenu.
Bien qu’il garde un ton dénué d’émotion, il lui semble qu’il se raidit à la mention de ses parents, et elle préfère ne pas insister — parler d’eux n’a de toute façon jamais été facile.
— Quand bien même, je ne sais pas, j’ai l’impression que l’Ordre est devenu une multinationale plutôt qu’une organisation censée protéger les humains.
— Comment ça ?
— Prenons Eternam Avatar par exemple, incubé par l’Ordre. Une amie m’en a parlé, et j’ai été un peu effrayée par ce que j’ai lu. Un article notamment, dans lequel un journaliste craint que certains individus fortunés se mettent à utiliser leurs services pour maintenir leur influence et leur pouvoir même après leur décès. Ils pourraient continuer à donner des directives et à influer sur les affaires du monde réel grâce à leurs avatars en ligne.
Il ne dit rien, et elle reprend après une hésitation.
— J’ai aussi entendu dire que des livres commencent à sortir pour dénoncer les dérives supposées de l’Ordre.
— Il ne faut pas lire et croire n’importe quoi. C’est le genre d’articles ou de bouquins à sensations, pour faire vendre.
Les yeux de Gales ne sont plus réduits qu’à deux fentes microscopiques.
— Tu dis toujours que je ne m’intéresse pas assez à la politique et à l’actualité, et quand je le fais, ça ne va pas non plus, remarque-t-elle.
— Tu ne consultes pas les bonnes sources ou les bonnes personnes, voilà tout. Nous avons toutes les réponses à tes questions, à l’Ordre.
— Tu sais, Gales, je n’ai peut-être pas appris grand-chose à l’école, mais je crois avoir retenu qu’un pays où toute l’information vient d’une seule source, ça s’appelle une dictature.
Elle remarque que les jointures de ses mains sont devenues blanches à force de serrer la chaise en fer forgé sur laquelle il est assis.
— Althea ! Regarde comme je suis monté haut !
L’interruption de Troy les fait sursauter tous les deux, et elle détache son regard de celui de son père adoptif après une seconde.
— Super, mon cœur, bravo ! Redescend maintenant, on va rentrer.
Malgré quelques protestations, le petit garçon commence à quitter son royaume perché.
— Gales, merci encore pour l’invitation, et pour toutes tes propositions, dit-elle d’une voix basse et tendue, cependant j’en ai marre d’avoir sans cesse la même dispute avec toi. Je suis navrée que mes choix de vie te déplaisent, mais c’est ma vie et on m’a rappelé récemment qu’on en a qu’une et qu’elle peut basculer d’une minute à l’autre.
Il s’apprête à répondre quelque chose, néanmoins Troy les rejoint à ce moment précis.
— Au revoir, Gales, merci ! Ton arbre est génial !
Un sourire forcé apparaît sur les lèvres du Grand Général quand il se tourne vers le petit garçon.
— Je suis content qu’il te plaise, Troy, reviens quand tu veux.
— Ok ! Au revoir, Phileas !
L’imperturbable majordome se tient en retrait sur la terrasse, du côté des grandes baies vitrées.
— Au revoir, master Troy, miss Althea.
— Merci, Phileas, à bientôt.
Le garçonnet glisse sa main dans celle d’Althea tandis qu’elle adresse un simple signe de tête à Gales avant de se diriger vers l’imposant portail.
Sur le chemin du retour, les cages vides et lugubres de l’ancien zoo la font frissonner.
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Narélia L
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