Fyctia

— Alors tu vas parler de moi à ton chef ? demande Jamie, un sourire au coin des lèvres.

Ils se sont éloignés du méga-chat, et se dirigent vers l'appartement de la jeune femme.

— Il faudrait, mais j’ai un très mauvais pressentiment. Et s’ils te voient comme une menace et décident de t’éliminer ?

— Oh, tu es inquiète pour moi, puce, je suis touché, déclame-t-il, une main sur le cœur.

Elle secoue la tête d’un air navré.

— Tu es si exaspérant, James.

Il s'esclaffe avant de reprendre sur un ton plus sérieux.

— Je ne les connais pas, donc je ne sais pas ce que je risque. De toute façon, on a pas trop le choix, non ? J'aimerais faire plus que tuer quelques démons chaque nuit, j'aimerais œuvrer vers une collaboration pérenne entre humains et non-humains.

— Ça semble tellement inatteignable..., soupire la jeune femme.

— Si on essaie pas, c'est sûr que ça le restera.

Elle distingue à ce moment-là des bruits de voix au niveau du croisement de Clifton Street et Worship Street, qu’ils allaient atteindre. Jamie les a entendus aussi ; ils s’arrêtent et se collent contre la façade d’un vieil immeuble en briques rouges.

La jeune chasseuse reconnaîtrait toutefois ces voix entre mille, et son cœur s’affole encore plus.

Kit et John apparaissent alors au coin de la rue, éclairée par un lampadaire bioluminescent. Elle se met devant Jamie pour le protéger, et se sent rougir comme si on venait de la surprendre en train de tromper Ysé.

— Althea ! Hey, ça va ? C’est qui, ton ami ? demande Kit, grand sourire aux lèvres.

— Euh, tu sais qu’il y a un démon Myxarian derrière toi ?

John a toujours été le plus attentif des trois à l’école et a studieusement appris à reconnaître les différents types de démons. Bien que sa voix soit dépourvue d’émotion, il a dégainé en même temps son arme. Kit, après une exclamation surprise, imite son frère d’armes.

— Oui, je sais, répond leur amie d’une voix lasse. Les gars, voici Jamie. Jamie, voici Kit et John.

— Salut, croasse le démon.

Malgré sa bravoure habituelle, il ne fait aucun mouvement pour sortir de la protection toute relative que lui procure Althea.

— Euh, tu faisais la conversation avant de le trucider ? Les directives ont changé ? On est censé faire ça, maintenant ? demande Kit, un sourire crispé sur son visage aux cents tâches de rousseur.

— Non, souffle son amie, Jamie est un démon pacifiste, il m’aide pendant mes rondes depuis quelques semaines.

Le géant roux part alors dans un éclat de rire tonitruant, et les trois autres personnes présentes attendent qu’il se reprenne, chacun avec le même air blasé sur leurs visages fermés.

— Tu sais que je t’adore, girl, mais c’était pas spécialement pour ton humour, avant, et là, tu grimpes encore plus dans mon estime.

— Je crois que ce n’est pas une blague, Kit, remarque John, la voix froide.

L’intéressé semble enfin réaliser qu’il n’est pas dans la bonne vibe, et il s’arrête d’un coup de rire.

— Oh, je vois, reprend-il, les yeux étrécis. Tu n’as pas augmenté ton sens de l’humour, tu as tout simplement perdu l’esprit, en fait ?

— Bon, à sa décharge, les Myxarian n’ont jamais été très virulents, intervient John.

— Ah, Monsieur-Je-Sais-Tout, ça va hein, crache son meilleur ami, plus du tout dans le mood pour rigoler.

Althea soupire audiblement et s’adresse au démon sans se retourner vers lui, de crainte que l’un de ses compagnons tente quelque chose.

— Jamie, je pense que tu devrais rentrer chez toi.

— Tu es sûre ?

— Oui, je dois parler, au calme, à ces deux-là, répond-elle, toujours sans le regarder. Ce sera plus facile si tu n’es pas là.

Elle le sent se raidir encore plus derrière elle.

— Ok, Althea. Tu me tiens au courant ?

— Bien sûr.

Il ne prend pas la peine de dire au revoir à Kit et John, qui n'ont cessé de se lancer des regards étonnés durant leur échange, et disparaît au coin de la rue.

— Venez, les gars, on va chez moi.

Les deux frères d'armes se consultent en silence et acquiescent dans un haussement d'épaules. Leurs pas sont lourds et personne ne parle pendant le reste du court trajet, jusqu'à ce qu'ils pénètrent dans l'appartement d'Althea.

— Hey, salut, les mecs ! commence Ysé avant de remarquer leurs expressions butées. Oh oh, qu'est ce qu'il se passe ?

— Ils viennent de rencontrer Jamie.

— Ah, je vois, dit-iel avec un signe de tête entendu. Je vais refaire du thé.

Althea secoue la tête : saon amoureuxe est si anglais·e, parfois, alors qu'iel n'a pas vraiment connu la vraie Angleterre, celle des reines Elizabeth, des bus à impériale, des mariages royaux, des cabines téléphoniques rouges et des bobbies.

— Tu le connais, Ysé ? s'étonne John.

— Oui, je l'ai soigné.

— Soigné ? On les soigne, maintenant ? demande Kit.

John ignore son ami, soupire et roule ses épaules en arrière pour se préparer à la suite de la discussion.

— Bon, Althea, on se connait depuis quelques années, et je serais enclin à te faire confiance. Balance tout.

Tandis qu'Ysé finit la préparation du thé et le sert, Althea leur raconte Jamie.

— Moi aussi, j'ai du mal à y croire, parfois, conclut-elle. Mais il m'a sauvé la vie, vous savez ce que ça signifie entre nous, guerriers. Et j'aimerais croire qu'un monde meilleur que celui-ci est possible pour nos enfants.

John hoche la tête, une expression pensive sur son visage rond.

— Je crois moi aussi à un monde meilleur... C'est dur tout de même de tout remettre en cause... C'est pour ça que tu ne patrouillais plus toutes les nuits avec nous, au fait ?

— Oui, je ne savais pas comment vous parler de lui.

— Gales va flipper complet, remarque John, une étincelle amusée dans ses yeux bleus. Promis, d'ailleurs, on garde le secret aussi longtemps que tu le veux.

— Euh, les gars ? intervient Kit, c'est ok, c'est ça ? Juste comme ça, on considère que c'est ok ?

— Pas juste comme ça, on se fait à l'idée, doucement, répond John. Toi aussi tu m'as déjà dit que tu te demandais parfois s'il n'y avait pas d'autres solutions que ce qui existe actuellement, ce statu quo dans lequel l'Ordre régit tout.

— Et, quoi, un démon gentil va sauver le monde ? Tout seul ?

— Pas tout seul, on finira par l'aider, peut-être, affirme son ami en lui donnant une claque dans le dos.

Bien que Kit secoue la tête, l'air navré, un mince sourire joue sur ses lèvres. Ysé et Althea se lancent un regard à la fois soulagé et amusé. Leurs amis partent peu après, après s’être promis d'en reparler bientôt, et les deux partenaires débriefent un court moment avant d'aller se coucher.

***

Althea hésite pendant toute sa journée au café, mais décide, pour sa tranquillité d'esprit, de se rendre après le travail au Siège de l'Ordre pour parler de Jamie à Gales.

La forteresse est plus calme en cette fin d'après midi, et la jeune femme atteint sans encombres le bureau de son père adoptif, déjà plongé dans la pénombre malgré les hautes fenêtres.

— Althea ! s'écrie-t-il en levant ses yeux bleus acier du rapport qu'il était en train de lire. Je suis content de te voir.