Fyctia
6-La tour sombre
Ce lundi matin, elle ne travaille pas, et après avoir déposé Troy à l’école, elle se rend au Siège de l’Ordre, situé dans la Tour de Londres.
La Division Britannique de l'Ordre avait en effet besoin d’un siège imposant, et quoi de mieux pour cela qu’une forteresse millénaire et une ancienne prison ?
Elle n’est plus ouverte au public, et les joyaux de la couronne qu’elle abritait ont disparu en même temps que la couronne, vu que la monarchie a donc été abolie il y a vingt ans après une campagne menée par les dirigeants de l’Ordre et un référendum écrasant.
Althea n’a que faire de la politique mais ne peut s’empêcher d’admirer, comme à chaque fois, le contraste saisissant que forme les bâtiments modernes de verre et d’acier noir alentour avec l’ensemble de la forteresse et ses murs d’enceinte, ses douves à nouveau remplies d’eau, et ses créneaux et tours en pierres beiges et blanches.
Elle salue le gardien dans sa guérite mais ne ralentit pas son allure, et essaie ensuite d’éviter d’être retardée par ses compagnons qui virevoltent dans le hall de la bâtisse principale, dont l’accès lui a été autorisé grâce à la reconnaissance biométrique de sa pupille.
Le bureau du Grand Général se trouve bien sûr dans la plus belle pièce de la White Tower, au dernier étage, avec une vue imprenable sur le fleuve. Elle frappe à la porte et n’attend pas de réponse.
— Salut, Gales !
Un homme mince et grisonnant, assis derrière un bureau, grimace et sourit en même temps.
— Althea, je t’ai déjà dit de m’appeler Grand Général quand nous sommes au Siège, la sermonne-t-il d’une voix grave. Quelqu’un aurait pu se trouver dans mon bureau.
— Désolée, Gales, dit-elle en prenant une mine contrite.
Elle fait le tour de l’imposant bureau en noyer et vient lui planter un baiser sur la joue.
— Alors, rien de particulier dans tes rondes ces derniers temps ? demande-t-il quand elle est repassée de l'autre côté.
Elle se force à respirer profondément pour ne pas rougir et ne pas baisser le regard - c’est la première fois qu’elle lui ment, enfin sauf si la fois où elle a nié s'être cachée dans son bureau quand elle avait cinq ans compte.
— Non, rien à déclarer, chef.
Il grimace à nouveau, et se recule sur sa chaise pour mieux détailler sa fille adoptive.
— J’ai une question qui me trotte dans la tête par contre ces temps-ci, penses-tu qu’il puisse exister des non-humains pacifistes ? demande-t-elle sur un ton qu’elle espère le plus badin possible.
— Quoi ? Bien sûr que non ! Quelle idée saugrenue ! s’écrie-t-il, les yeux exorbités.
Il se lève alors et, malgré sa grande taille et sa veste remplie d’insignes aux couleurs de l’Ordre - bleu marine et orange - il lui semble petit contre la bibliothèque immense dans son dos qui court jusqu’au plafond à la hauteur impressionnante.
— Je ne sais pas, j’ai essayé de réfléchir. Avant, la plupart des non-humains vivaient dans des régions à l’écart des humains, car il y a des siècles de cela ils avaient été persécutés et presque tous massacrés, c’est ça ?
Son mentor hoche seulement la tête, les sourcils froncés.
— Depuis quelques dizaines d’années, ils essaient de se rebeller, en quelque sorte. Et donc on a dû recommencer à les pourchasser. Mais rien ne dit qu’il n’y en a pas toujours eu des pacifistes, non ?
— Ecoute, ma fille, je ne vois vraiment pas d’où tu tiens cette idée, et…
Son highphone sonne alors, et il lui adresse un petit geste d’excuse avant de répondre.
— Désolée, Althea, j’ai une réunion importante. On en reparle, d'accord ?
Elle hoche la tête et prend vite congé. “Retour à la case départ”, pense-t-elle avec amertume.
***
Quelques jours passent sans qu’elle ne recroise Jamie. Elle est soulagée et déçue à la fois - malgré la véhémence de ses dénégations durant leur conversation, elle aurait en fait aimé le revoir et s’entretenir un peu plus avec lui. Parfois, elle pense détecter sa présence autour d’elle, mais la sensation disparaît vite, pas comme les premières semaines pendant lesquelles il l’a suivie à la trace.
Sa ronde ce soir-là, sous un ciel dégagé et une lune presque pleine, était plutôt calme, jusqu’à ce qu’elle se retrouve face à face avec un méga-chat. Aussi grand qu’elle, il se tient au milieu d’une rue déserte, debout sur ses deux pattes arrière, et ses méga-griffes acérées brillent sous la lueur de la lune. Althea esquive de justesse sa première attaque et sent les pattes du chat démoniaque effleurer sa joue. Elle riposte avec agilité, sa lame étincelante s'entrechoquant avec ses griffes.
Soudain, quelque chose se dresse entre la chasseuse de démons et son assaillant, et Althea met quelques secondes à reconnaître Jamie. Il attaque avec une grâce déconcertante pour détourner l'attention du méga-chat. Néanmoins, après une seconde de distraction, le félin enragé se rapproche assez du démon protecteur et ses griffes s'enfoncent profondément dans son flanc à deux endroits différents. Le cri de douleur de Jamie, effondré au sol, désoriente le monstre à moustaches l'espace d'une seconde et Althea voit une opportunité pour riposter. Sa lame se déchaîne, frappant avec une précision meurtrière, et elle réussit enfin à le neutraliser.
Avec son cœur qui cogne fort dans sa poitrine - le traître - elle s'agenouille alors à côté du démon, qui lui offre son petit sourire narquois tandis qu'il presse un pan de sa veste sur la plaie principale pour freiner la perte de sang.
— Je n’y crois pas ! s'écrie-t-elle. Qu’est-ce que tu fais là ? Je t’avais demandé de sortir de ma vie !
— Je sais, mais je ne peux pas faire ça.
— Pourquoi ?
Il essaie de se redresser sur ses coudes pour mieux la voir, ce qui lui arrache une grimace.
— Je t’ai expliqué, je veux faire ce qui est juste pour l’avenir de la Terre, je veux aider l’Ordre, vous avez besoin de puissants combattants, et…
— Non, je veux dire, pourquoi moi ? demande-t-elle sur un ton plus humble. Pourquoi est-ce moi que tu suis depuis des semaines ? Pourquoi pas quelqu’un d’autre de l’Ordre ?
— Je ne sais pas… Je t’ai observée avec tes compagnons, et il y a quelque chose d'indéfinissable chez toi… Beaucoup de lassitude, et beaucoup de détermination, aussi. Désolé, ça ne veut rien dire, je sais…
Althea secoue la tête et ne rétorque rien, car, aussi bizarre que cela puisse paraître, si, elle voit exactement ce qu’il veut dire. Les mots qui tombent ensuite de sa bouche la surprennent au moins autant que lui.
— Bon, je te ramène chez moi, maon partenaire, Ysé, est guérisseuxe.
— Ouh, tu n’as pas peur qu’iel succombe à mon charme irrésistible ? Je t’ai déjà dit que j’aimais partager, pourtant je ne sais pas si toi, par contre, tu serais intéressée par ce genre de relations…, conclut-il avec un clin d'œil.
Elle serre les poings et expire longuement avant de parler.
— Tu es l’être le plus exaspérant que je connaisse, James.
Elle le saisit alors par un bras et l’aide à marcher dans les rues sombres - et elle ne manque pas de remarquer qu’elle ne le traite déjà plus comme un monstre.
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