Fyctia

22 Novembre 2018

-- Carvin --

Quand j’émerge de mon sommeil et me faufile jusqu’à la cuisine pour boire un chocolat chaud, je suis surpris de voir ma mère assise autour de la grande table de la salle à manger. Je fronce les sourcils et tente un faible « bonjour » pour éviter de la surprendre et de lui faire peur. Elle ne me répond pas, ce qui attise ma curiosité voire mon inquiétude. Chloé Millerson est la femme de bonne famille, élégante et riche par excellence. Jamais elle ne sera avachie, pas maquillée ou encore en pyjama, lorsqu’elle n’est pas dans sa chambre. Irréprochable est le mot qui la décrit le mieux.

Alors que fait-elle la tête posée contre la table vêtue seulement d’un t-shirt large et d’un simple legging noir ?

— Maman ?

Je m’approche doucement d’elle, le bruit de mes pas étouffés par le tapis blanc. Je l’interpelle à plusieurs reprises, toujours sans succès. Une fois arrivé à ses côtés, je pose ma main sur son épaule. Sous mes doigts, je sens une légère vibration et les quelques tremblements presque imperceptibles m’alertent.

— Maman ? Tu vas bien ? Réponds-moi, s’il te plait.

Elle se relève et frotte son visage, qu’elle ne veut pas me montrer. Je fronce les sourcils et prends aussitôt l’initiative d’attraper délicatement ses poignets pour qu’elle me fasse face. Ses yeux verts, qui se posent partout sauf sur moi, sont bouffis et rouges. Il est certain qu’elle a pleuré.

— Que s’est-il passé ?

— Ne t’occupe pas de ta vieille mère et file te préparer pour l’université. Tu as un entrainement de hockey ce matin, il me semble, élude-t-elle d’un ton sévère en même temps de renifler légèrement.

Vieille mère ?

Jamais elle ne se décrit d’une telle façon d’habitude. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.

— Hors de question. Dis-moi ce qu’il se passe.

Son regard plonge enfin dans le mien. Un éclat de tendresse surgit de la grande tristesse qui l’habite. Jamais ma mère n'a été comme ça de toute sa vie et même si l’on n’est pas très proches, je déteste la voir ainsi. Elle est malgré tout, celle qui m’a donné naissance et je lui dois ma propre existence.

— Je t’assure Carvin, ça va passer. Dépêche-toi de te préparer.

— Maman...

Un long soupir s’échappe de sa bouche et elle secoue la tête.

— Il n’y a pas de doute, tu es bien mon fils...

— Aussi têtu que toi ? Absolument.

Un petit sourire nait à la commissure de ses lèvres. Ma poigne glisse de ses poignets jusqu’à ce que mes mains emprisonnent les siennes. Mon intention est claire. Je veux qu’elle me parle et me dise ce qui ne va pas. Et quand je la vois ouvrir la bouche, je sais qu’elle l’a .

— Nous ne sommes plus sur la longueur d’onde avec ton père. Il m'est infidèle, et cela depuis plusieurs années déjà. Ce matin, j’ai retrouvé un sous-vêtement, qui ne m’appartient sûrement pas, sous notre lit.

L’incompréhension m’envahit. Je ne suis pas stupide pour ignorer que beaucoup d’hommes et de femmes trompent leur partenaire, mais Papa ? Il n’est pas démonstratif, c’est certain, mais... Il aime sincèrement maman.

— Papa ? Tu es sûre ?

— Absolument, Carvin. Ce n’est pas la première fois que cela arrive. Katy m’a même apporté des preuves, sans même que je ne le demande. Il embrassait une grande brune athlétique dans la rue quand mon amie passait dans les environs avec son mari.

Je reste silencieux alors elle continue :

— Je ne voulais pas te le dire, Carvin, me dit-elle en reprenant son air sévère. Cette histoire est entre ton père et moi et ne te concerne pas directem...

— Bien sûr que si bordel ! Il a pas le droit de te faire ça ! J’hallucine, mais quel enfoiré ! m’écrié-je en lui coupant la parole, survolté.

— Carvin Robert Steven Millerson, ton langage ! me réprimande-t-elle en élevant la voix.

— De quoi mon langage ? Merde Maman ! C’est grave ce que tu viens de me dire ! Comment tu peux rester avec lui dans ces conditions ?

— On a une grande firme ensemble, je ne peux pas me permettre de lâcher ce boulot. Et puis il y a toi aussi, si je me sépare de James, je partirai de Chapel Hill pour m’installer ailleurs. Cela t'impacterais parce que tu es si protecteur que tu serais capable de me suivre juste pour prendre soin de moi, même si je sais très bien me débrouiller toute seule.

Il y a bien évidemment une autre raison qu’elle ne dit pas. Bien entendu qu’elle ne quitte pas mon père, elle est tellement soumise à la pression sociale. Même ses amies sont là à guetter le moindre faux pas que ma mère ferait. Il est déjà arrivé que mes parents posent fièrement pour un magasine people, déclarant haut et fort qu’ils font le couple fard du moment.

— Tu as toujours ton métier d’actrice qui n’est pas à négliger ! Tu peux très bien lâcher l’entreprise pour te focaliser uniquement sur ça.

— Bien sûr que je pourrais Carvin. Je ne souhaite juste pas bouleverser ma routine pour si peu. Je suis une femme passée quarante ans, dans un an, j’en aurais cinquante... Je ne veux plus courir partout. Envisager mon quotidien autrement n’est plus dans mes projets. Malgré ce paramètre de ma vie, je suis heureuse et satisfaite de tout ce que j’ai entrepris jusque là. J’ai deux travaux que j’affectionne et qui paient bien, un toit au-dessus de ma tête et un enfant intelligent et magnifique.

— Je ne comprends pas, soufflè-je en secouant la tête, dépité.

— Je ne te demande pas de comprendre, juste de l'accepter.

Pendant un long moment, je ne dis plus rien. Le silence s'installe dans la pièce en même temps que mes pensées tourbillonnent dans mon esprit. Les dents serrées, je me demande mentalement si je vais réussir à rester calme dès que je retrouverai mon père en face de moi. Le frapper n'est pas une solution envisageable d'habitude, mais j'ai bien peur que le coup parte avant même que je ne puisse y réfléchir à deux fois.

On ne trompe pas quelqu'un. Point.

🎄🎄🎄

Après être resté avec ma mère une bonne partie de la matinée, je me montre à l'entrainement avec une demi-heure de retard. Ce qui a bien sûr pour résultat de provoquer la colère du coach, qui m'a aussitôt chargé de faire vingt pompes avant d'entrer sur la glace. J'aperçois les nombreux coups d'œil de mes coéquipiers qui se moquent de moi pendant qu'ils patinent. Pourtant, en voyant arriver M.Barden, je sais que certains vont se prendre le retour de la médaille.

Je dois avouer que je n'attends que ça...