Fyctia
De travers
À l’écart des invités, Benvolia sirotait un cocktail à base de champagne. Les bulles lui chatouillaient agréablement le palais. Près d'elle, Mara pleurait à chaudes larmes. Elle buvait aussi pour se donner une contenance. Les sanglots pleuvaient dans son verre. Les deux femmes tournaient le dos à la soirée, en pleine contemplation des nuages derrière la vitre de la Géode.
Un orage s'annonçait.
« Allons, Capitaine, soupira Benvolia. Ce n'est pas la fin du monde.
— Je n'arrive pas à y croire. Tu ne peux pas nous quitter, c'est impossible. Qu'est-ce qu'on va devenir ?
— Tout ira bien -kof- Davi est prêt à prendre la relève.
— Davi est un salopard ! »
Mara siffla son cocktail d'un trait.
« Je ne t'abandonnerai pas, dit-elle en continuant de pleurer. Il existe forcément un moyen de te guérir. Je le trouverai. »
Benvolia lui tapa avec camaraderie dans le dos.
Au passage du serveur, elles piochèrent chacune un toast, qu'elles gardèrent à la main.
« Appétissant, » commenta-t-on derrière elles.
L'Empereur était revenu. Il bouscula Mara et lui chipa son toast.
« Vous m'avez volé ma femme tout à l'heure. Permettez que je vous la reprenne. »
Sa fameuse bague brillait à son index. Derrière lui, un nombre invraisemblable de gardes piétinaient avec leurs hallebardes, sans motif particulier. Lui-même transpirait comme s'il avait couru.
« Qu'est-ce qui vous prend ? dit Benvolia. Vous avez vu un revenant ?
— Non, seulement votre lettre.
— Oh. »
Il la saisit par les épaules, un geste qui contrastait avec son caractère habituel. D'ordinaire, il n'était pas du genre démonstratif.
« Vous êtes folle d'écrire une chose pareille, s'emporta-t-il. J'étais mort d'inquiétude. J'ai cru que vous alliez...
— Quoi ?
— Commettre l'irréparable.
— C'est absurde -kof- pourquoi me priver des plaisirs de la vie ?
— Ma chère, excusez ma question, mais avez-vous pris la peine de vous relire ?
— Vous me connaissez mieux que ça. Je veux vivre, je vous le répète depuis quinze ans. Je ne suis pas douée avec les mots. Il y a des choses que je veux que vous sachiez, sans vous les dire en face. »
Elle rajusta une épingle en diamant délogée de son corsage.
« J'ai la berlue, dit Fiodor, ou votre toux s'est calmée ?
— Forcément -kof- quand la cavale cesse. »
Au contact de sa femme, le poids qui accablait Fiodor s'envola. Ils avaient gagné la bataille. Ils étaient de retour sur le trône, avec la rose-étoile, et sa sœur Victoria qui allait leur apprendre à la maîtriser. Ils allaient s'en sortir. Ils échangèrent des boutades pendant un long moment.
L'un comme l'autre, ils évitèrent toute allusion à Aster.
Entre leurs doigts, les toasts refroidissaient. Ils les mangèrent à l'unisson. Leurs alliances scintillèrent tandis qu'ils les portaient à la bouche.
Au milieu des danseurs, Victoria de Spica les fixait.
Impatiente.
À peine la langue de Benvolia eut-elle touché le toast qu'elle s'étrangla. Sa main lâcha son verre à cocktail, en quête d'un appui. Fiodor crut à un banal étouffement. Il ne comprit l'urgence de la situation qu'aux premières convulsions, quand ses yeux se révulsèrent, que ses membres s'agitèrent dans des soubresauts incontrôlés, et que sa diode s'alluma.
Benvolia s'effondra. Il tenta de lui faire expulser le toast, au mépris de son habit. Il déchira le corsage, essaima les diamants, lui fit du bouche-à-bouche, tout ce qu'il savait pour la réanimer. La garde accourut, impuissante.
Dehors, le crépitement d'un magnifique éclair illumina la Géode.
Quelques secondes plus tard, nul n'avait rien pu faire.
Benvolia était morte.
Chez lui, Aster n'avait pas eu le courage de se recoucher correctement. Étendu en travers du lit, où l'Empereur l'avait aimé tellement de fois, il s'abstenait de penser. La tristesse l'enveloppait comme une couverture, sans qu'il puisse l'exprimer. Il ne pleurait pas. Il en était incapable.
Il avait assez pleuré dans l'enfance pour savoir que c'était inutile.
Impoliment, le Grand prêtre était resté. Fuyait-il le capharnaüm du bal ? Tentait-il de ramener Aster dans le droit chemin, auquel cas il perdait son temps ?
« Vous n'avez pas une messe sur le feu ? cingla le jeune homme. Que font les prêtres, quand ils s'ennuient ?
— Avec leurs Majestés, on ne s'ennuie jamais.
— Vous n'avez qu'à les rejoindre. Et encore, vous vous inquiétez pour rien. L'Impératrice se bat de toutes ses forces pour vivre. J'ai confiance, elle ne se suicidera jamais.
— L'Empereur a eu le même raisonnement avant l'attaque du bordel. Je suis désolée pour votre patronne, la Prêtresse.
L'évocation de sa mère adoptive brûla Aster en-dedans.
« Je vous préviens, c'était une sainte femme. Si vous déterrez son passé en tant que prostituée, je vous jure que...
— Je n'en ai pas l'intention. En fait, j'ai bien connu votre mère. Rallongez-vous, je vais faire quelque chose pour la douleur. »
Aster se laissa retomber sur le matelas à contrecœur. Sa plaie encore fraîche exigeait des soins, c'était elle qui prenait les décisions.
Le Grand prêtre s'agenouilla. Dans sa soutane, il prit une poche qui contenait un pendule en pierre précieuse. Le morceau de roche était d'une pureté proche de la perfection. Toutefois, Aster ne put l'identifier.
Dès que le Grand prêtre apposa le pendule au-dessus de la blessure, la douleur s'évanouit.
« Je suis un piètre magnétiseur, s'excusa-t-il. Mais pour la douleur, je me débrouille.
— Vos soins rendraient service à beaucoup de mendiants. Dommage qu'ils soient réservés à la famille impériale. Vous ne restez pas uniquement pour me dorloter, n'est-ce pas ?
— En effet. La Prêtresse m'avait parlé de votre perspicacité. »
Il tira Aster par la manche de son peignoir en soie. Le jeune homme recula, par méfiance légitime.
« Du calme, dit le Grand prêtre. Je ne vous veux aucun mal.
— Bas les pattes ! »
Il se débattit. Le Grand prêtre continua de tirer, jusqu'à ce que le peignoir glisse, dévoilant son avant-bras. La diode de baptême apparut.
« J'officiais déjà quand vous êtes né, dit Arthus. Vous devriez être inscrit au registre du culte. Or, vous n'y apparaissez nulle part. »
Il arracha la diode, qui se décolla toute seule, comme un vulgaire adhésif. En-dessous, la peau était indemne.
« En réalité, vous n'êtes pas baptisé. Cela fait de vous une anomalie. »
Malgré sa faiblesse, Aster sauta du lit et ramassa un tesson de verre sur la moquette.
« Vous n'auriez jamais dû le découvrir, rugit-il. Personne n'est au courant à part ma mère. Pas même l'Empereur.
— Et moi, à présent. »
Il tendit la diode factice.
« La Prêtresse vous a recueilli dans une décharge. C'était un lieu désert, à l'exception de superbes pluies d'étoiles filantes.
— Où voulez-vous en venir ?
— Vous n'êtes pas né ici. Ce n'est pas une fatalité, au contraire.
Aster serrait son tesson de verre. Ses émotions, prisonnières en lui, bouillonnaient.
« C'est la rose-étoile, acheva le Grand prêtre. J'ai mes raisons de croire que vous avez certaines affinités avec elle. »
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Tonie Mat N’zo
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Il y a 8 mois
Tonie Mat N’zo
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Il y a 8 mois
EdeneMontagnol
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Il y a 8 mois
mariecolley
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Il y a 8 mois
Frédérique FATIER
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Il y a 8 mois
camillep
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Il y a 8 mois