Fyctia
L'absence
Au bordel, on déjeunait à midi pile.
Le grand réfectoire était meublé d'une interminable table en bois. Avant de manger, on attendait que tout le monde soit servi, et on débarrassait à la fin. La Prêtresse était très stricte sur ce point.
Elle présidait la table comme à son habitude. Pour une fois, le chahut de ses pensionnaires sous le plafond à caissons l'indifférait. Elle fixait un petit sac posé devant elle. Des pierres brillantes fuyaient du tissu éventré. Des diamants.
« Alors, c’est oui ? »
La Prêtresse égrena les pierres et toisa son protégé :
« T'es parti te dorer la pilule du jour au lendemain. Et d'un coup, te revoilà, la bouche en cœur, avec une fugitive ? Tu te moques de moi, Aster ? »
Siutovkine se tordit les mains. Sous ses airs cabotins, il n'en menait pas large.
« Je suis au courant pour les assassinats, comme tout le monde, reprit-elle. Mais je veux votre version. Après ça, je verrai si je vous aide ou non.
— Sans rentrer dans le détail...
— Chut, sale môme ! Je parle à ta cliente. »
Assise en coin de table, Benvolia analysait la situation. Cette maquerelle l'avait démasquée. C'était peut-être un mal pour un bien. Tout raconter lui déplaisait, mais les alliés se faisaient rares, elle ne pouvait pas se permettre de jouer les difficiles. Même si c'est une idée de Siutovkine.
Elle avoua tout.
Stoïque, la Prêtresse écouta ses mots brûlants. Corbombes. Machination. Cartes noires. Danger de guerre. À la fin, elle soupira.
Le soulagement fut immédiat quand elle prit un diamant et l'empocha dans sa soutane.
« C'est d'accord, trancha-t-elle. Vous restez avec le sale môme, mais évitez de prendre la grosse tête. Vous n'êtes que tolérée ici, compris ?
— Compris, dit Benvolia.
— Je vous facturerai un diamant par nuit. Vous paierez ? »
Elle opina.
Ma santé décline vite. Il y a cinquante diamants, et je n'ai pas cinquante jours.
Presque un mois s'était écoulé depuis l'annonce de sa maladie.
« La chambre n'a qu'un seul lit, dit la Prêtresse. Vous partagez ? »
Benvolia était loin de ces considérations. Pourtant, l’idée d'un peau-à-peau accidentel, dans le noir, avec Siutovkine, fit battre son cœur plus vite. C'était troublant.
« Inutile, dit le jeune homme. J'irai chez un ami. »
Benvolia aurait dû se réjouir, mais ce qu'elle ressentit la laissa perplexe. De la déception.
L'entrevue terminée, elle remonta dans la chambre et s'enferma à clé.
Moi, attirée par Siutovkine ?
Le cœur battant pour cette cloche ?
Plutôt mourir.
Elle reprit son sac de diamants et libéra la fourmi automate par terre. Elle espérait qu'elle bouge, qu'elle la guide, mais rien ne se produisit. L'automate resta immobile sur sa latte de parquet. Ce fut le début d'une longue et pénible attente.
Benvolia surveilla la fourmi pendant une semaine. La nuit, elle ne faisait que somnoler. Le bruit des passes, plaisir et gémissements, aurait tenu n'importe qui éveillé. Fiodor est mort, mais ça n'empêche pas le petit crétin de s'amuser, pensait-elle.
Et moi ?
J'ai le droit ? C'est compris dans le tarif ?
Non, je dois surtout venger Fiodor. Et puis personne ne voudrait coucher avec une malade.
Alors pourquoi est-ce que j'en ai envie ?
La septième nuit, la fourmi se décida à bouger. Enfin.
Aster Siutovkine dormait chez un ami, dans un entrelac des deux sexes. La porte s'ouvrit. On le secoua. Dans la lueur du couloir, qui formait un carré rouge sur la belle pièce à cheminée, il vit un fantôme en treillis. Ce cauchemar lui arracha un cri qui réveilla les autres dormeurs.
« La fourmi a bougé, dit Benvolia. Changez-vous en oiseau -kof-
— M-- maintenant ?
— Oui, on la suit ! »
Aster se leva en grognant. À cet instant, il regrettait de l'avoir sauvée. Il se métamorphosa à contrecœur et s'envola par la cheminée.
Pas de temps à perdre.
Les dormeurs fixaient Benvolia, hébétés. Sans un mot, elle sortit, et dévala l'escalier vers la moto garée dehors. Elle démarra les propulseurs à feu bleu et //
//
des biscuits
disposés dans un plat,
un pot de confiture au parfum fleuri.
Dans les vapeurs d'encens, une voix inconnue dit :
« Une tasse de thé, Benvolia ? »
Benvolia cligna des yeux.
Hein ? J'ai raté quelque chose ?
Non, elle ne rêvait pas.
« Pas de thé alors ? Et vous, trésor ?
— Juste un doigt, dit la voix chaude de Siutovkine.
— Grand fou. »
Vêtu d'un peignoir d'emprunt, Aster tendit sa tasse en porcelaine avec un sourire. Une femme inconnue lui versait du thé.
Tous deux se tenaient accroupis sur des coussins, et Benvolia réalisa qu'elle aussi.
« Où sommes-nous ? dit-elle, enrouée. Qu'est-ce qui se passe ? »
L'inconnue posa sa théière sur une table basse en désordre. Écrous et boulons formaient un tapis sous l'assiette de gâteaux secs.
Benvolia était dans un salon où elle ne se rappelait même pas d'être entrée.
Tout était peint en violet. Des ampoules électriques recouvertes de voiles créaient une ambiance feutrée. Des plumes, des fragments d'améthyste, des attrape-rêves et autres grigris pendaient du plafond. Quelque chose bougeait par terre. Un chapelet argenté.
Des fourmis automates se déplaçaient en colonnes comme de petites têtes d'épingles. Elles couraient partout, jusque dans les biscuits.
« Qu’est-ce qui vous prend ? dit Siutovkine. C'est vous qui m'avez tiré du lit à pas d'heure pour chasser la fourmi. C'est pour vous qu'on est ici !
— Allons, trésor, soyez indulgent, dit l'inconnue. Après tout, Benvolia est malade.
— Comment ça, malade ? »
Benvolia sentir son cœur se détraquer. Elle arracha son respirateur. Besoin d'air.
« Qui êtes-vous ? » balbutia-t-elle.
L'inconnue mesurait la taille d'un enfant. Son visage lisse, sans âge, était presque transparent. Ses cheveux blancs lui tombaient jusqu'aux pieds, retenus par des cristaux de roche. Ses mains minuscules tripotaient tout ce qui l'entourait.
Elle se mit à rire, douce comme la pluie d'été.
« Du calme, Benvolia. Vous avez eu une absence. Vous n'allez pas tarder à vous souvenir.
— Je suis venue de mon plein gré ?
— Vous, et le trésor qui vous accompagne.
— Comment ça, malade ? répéta Aster.
— C'est l'évolution normale. La toux, le souffle, puis les absences... »
Les mains de l'inconnue se posèrent sur les épaules de Benvolia, qui n'eut pas la force de résister. Elle tremblait de tout son corps. Sa bouche peina à articuler :
« V-- vous êtes quoi ? Un genre d-de guérisseuse ?
— Juste une voyante, dit l'inconnue.
— Kof- c'est de l'argent que v-- vous voulez ?
— Voyons, c'est vous qui avez toqué chez moi pour que je réponde à vos questions. »
Ses petites mains installèrent Benvolia sur un gros pouf, lui aussi violet. Pour sa taille, elle avait une poigne inouïe.
Devant le pouf, un globe laiteux trônait sur un tapis.
Une boule de cristal.
La voyante la tapota, et elle s'alluma.
« Je vais tout vous montrer, murmura-t-elle. Votre mari, les corbombes, qui les contrôle et pourquoi. En échange, dites-moi tout.
— Sur quoi ?
— La seule chose qui vaille qu'on s'y intéresse, Benvolia. Je parle de votre mort. »
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Adastra
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Il y a 8 mois
camillep
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Il y a 9 mois
LZLZLZ
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Mad May
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Nina Fenice
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mariecolley
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Mad May
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Sarah Pegurie
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~ Coquelicot♡
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Il y a 9 mois