CarlaHay À toutes nos dernières fois Chapitre 2 - 2/2 - Charlize

Chapitre 2 - 2/2 - Charlize


Mon doigt qui s’enroulait autour d’une de mes mèches s’arrête net. Ma main retombe sur le pendentif émeraude que je porte autour du cou, celui qu’elle m’a offert le jour où j’ai quitté sa maison.


Elle ne peut pas se séparer de Tulpen House. C’est pas possible.


Margaret n’a jamais eu d’enfant, elle ne s’est jamais mariée. C’est une descente d’une célèbre famille bourgeoise autrichienne qui a dédiée toute sa vie aux autres. Tout ce qui comptait pour elle, c’était de faire vibrer cette vieille bâtisse du XIXe siècle avec des rires, des ateliers pâtisseries et des cris de joie. L’idée qu’elle se sépare de cet héritage brise quelque chose en moi. Je n’arrive pas à l’imaginer dans un appartement du centre de Vienne.


— Mais tu ne peux pas faire ça ! m’offusqué-je.


— Cette maison est énorme pour moi toute seule. Tu te rends compte : six chambres, deux salles de jeu, trois étages alors que dans dix ans, j’aurais sûrement un déambulateur. Faut se rendre à l’évidence, je serai mieux à Leopolstadt (1). Alexander a acheté un appartement là-bas d’ailleurs il y a peu de temps.


— Ne change pas de sujet, Maggie, tous tes ancêtres ont vécu dans cette maison, contesté-je.


Je repose le téléphone sur le rebord de la baignoire, pour la mettre en haut-parleur. Je me lève pour faire les cent pas. C’est une décision stupide.


— Depuis quand t’es devenue sentimentale avec la vieille pierre, d’abord ?


— Depuis qu’il s’agit de Tulpen House, enfin !


— Donc ça veut dire que tu vas accepter de passer un dernier Noël à la maison avec nous tous avant que je m’en sépare ?


C’est l’uppercut qui finit de m’achever. Même un cycle long dans une machine à laver m’aurait moins essoré que cet appel. Elle ne peut pas me demander ça. Elle le sait.


Sans le vouloir, je réponds d’une voix pesante.


— Tout sauf ça, Maggie.


— Je ne t’ai jamais rien demandé, ma chérie. Mais avant de quitter la maison, je compte bien vous avoir tous les quatre, une dernière fois, à Noël, comme avant. Tu penses que tu pourrais essayer ?


Elle me le demande d’une voix si douce qu’une boule se forme dans ma gorge.


Tous les quatre.


Dorian, Alexander, Moi.


Et Finn.


Je me laisse glisser le long du mur, la mine défaite. Mes jambes s’étendent sur le carrelage froid de la salle de bains. Mon regard trouve un point de fixation dans le vide, comme si mon cerveau décidait de se mettre en pause. Ni ma boite à bijoux préférée en suédine terracota ni le diffuseur d’huiles essentielles au jasmin ne m’apaise. Je pense à la proposition d'Ian pour ce nouveau restaurant. Ça serait tellement facile de brandir cette excuse à Margaret. Comme toutes celles que je lui ai sorties ces dix dernières années pour louper tous les réveillons auxquels elle m’a convié.


Sauf que cette fois, je n’ai pas le droit de lui faire ce coup-là. Elle n’a qu’une demande. Après m’avoir recueilli, m’avoir libéré de ma noirceur et surtout m’avoir donné une chance de réussir ma vie, comment pourrais-je lui refuser ce cadeau-là ?


Pourtant, mon palpitant frappe si fort dans ma poitrine que je me crois capable de refuser net. Presque une décennie que je n’ai pas posé un pied à Vienne, une décennie que je fuis mon propre pays parce que c’est plus simple de laisser le passé loin derrière moi. Le souci, c’est que Margaret n’est pas un critique culinaire que je peux balayer d’un revers de la main. On parle de la femme qui a changé ma vie et même si elle me demande de foutre en l’air mon quotidien pour lui offrir un dernier réveillon de Noël, je me sens incapable d’être égoïste.


— Lizzie ? T’es toujours là ? s’inquiète-t-elle, d’une voix timide.


— Oui… affirmé-je.


— Tu m’en veux ?


Je soupire avec culpabilité. La tête appuyée contre le mur, je scrute le plafond comme pour me décider. Je n’ai pas réellement de choix à faire. Au fond de moi, je connais déjà la réponse. Je dois seulement trouver le courage de le dire à voix haute.


— Non, évidemment que non. Ça fait beaucoup d’informations en même temps, je ne m’attendais pas à ce que ta vie change à ce point et que tu veuilles nous réunir. Tu m’as prise au dépourvu, mais je te promets que je serais là. Peut-être que quand je serai devant toi, j’arriverai à te ramener à la raison.


— Car tu penses pouvoir me faire changer d’avis sur Tulpen House ?


— J’ai bien réussi à te faire prendre un chien alors que tu détestais ça.


— Tu m’as eu une fois. Tu ne réussiras pas une seconde fois à me berner, ma grande !


Un rictus m’échappe en souvenir de cette fois où je l’ai trainé au chenil de Landstrasse pour éviter à ce bon vieux Philibert de se faire piquer.


— Je vais devoir négocier quelques vacances à mon patron, mais je te rappelle très vite. D’accord ?


— Appelle-moi quand tu veux !


Je tapote sur l’écran de mon téléphone pour raccrocher puis, lasse, je rejoins ma chambre en espérant y trouver encore l’épaule de Nate, mais la pièce est vide. Il a pris ses affaires et s’est tiré. Comme ça, sans un mot. Rien.


Bizarrement, maintenant j’aurais été prête pour une partie de jambes en l’air en guise de pansement. Parce que sans le vouloir Margaret vient de faire de ma vie le plus grand bordel imaginable.


Retourner faire Noël avec Finn Wagner. Le Finn qui m’avait promis qu’on visiterait tous les pays du monde ensemble. Le Finn avec qui j’avais prévu de vivre heureuse et d’avoir de nombreux enfants. Le Finn qui m'a empêché de remettre un pied dans mon propre pays durant ces dix dernières années.


Le Finn qui le jour du grand départ, m’a brisé le cœur en décidant que nos chemins devaient s’arrêter là.


C’est pour cette raison que je me laisse tomber à plat ventre sur mon lit, la tête tournée vers la nuit éclairée de Singapour. Mes iris fixent les lumières, mon corps reste immobile et j’attends que les heures passent. Dans le silence, le plus complet, je me laisse aller. Je sais que l’insomnie me guette, je les connais ces minutes infinies à attendre que le sommeil m’emporte, mais pour la première fois, depuis des années, je me remémore ce visage parfait auquel je m’étais interdit de penser.


Mes souvenirs sont pourtant intacts. Mon esprit ne saura jamais effacer Finn. Pourtant, je pensais que le temps guérissait tout. Il guérit peut-être, il fait diminuer la colère, il estompe la rancœur, mais il n’altère pas ce sentiment d’acte manqué.


Et dans deux mois, je vais être face à lui, à manger une dinde farcie aux marrons, en faisant comme si tout était normal. Mais qu’est-ce qui est normal quand deux premiers amours doivent se regarder dans le blanc des yeux et rire du temps qui a passé.


Moi ça ne me fait pas rire. Non, ça me terrifie et pourtant, il n’y a pas grand chose dans la vie qui en soit capable.


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(1) Leopolstadt : 2e arrondissement de la ville de Vienne

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13 commentaires

Lectures2Thalie

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Il y a un mois

Je suis totalement conquise par ces premières pages.

Blogdelyosa

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Il y a un mois

Un très bon début intriguant !

CarlaHay

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Il y a un mois

Merci les jums !

Justine B

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Il y a un mois

Je dévore tes chapitres, la psychologie de tes protagonistes est super propre et bien décrite. Hâte de lire la suite ♡

Chloé Hazel

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Il y a un mois

Oh oh ça sent les retrouvailles bien sympa ! Hâte de lire la suite, c’est très entraînant !

CarlaHay

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Il y a un mois

Ca arrive tres vite !

molly reagan

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Il y a un mois

oh j'ai hâte d'assister aux retrouvailles!!!

Samantha Beltrami

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Il y a un mois

Bienvenue dans le concours ✨

poil42

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Il y a un mois

Ce début est prometteur. Hâte de découvrir la suite !
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