Fyctia

Dix petites secondes… voici le temps dérisoire pour sauter de l’extase à la souffrance émotionnelle. Une vraie cascade, depuis mon cerveau jusqu’à mon cœur, en passant par tous mes membres. Ma respiration difficile déchire ma poitrine, mon corps me fait mal, hurle ma déception.

Je colle le téléphone, preuve irréfutable, sous le nez de Nicolas. Le sang quitte son visage, il tend sa main vers moi, mais ma carcasse s’éloigne avec mon bon sens enfin de retour.

— C’est pas ce que tu crois, articule-t-il péniblement, la mâchoire serrée.

Un petit rire agacé s’échappe de ma bouche. J’attrape ma robe, couvre ma peau encore rougie par ses baisers et me dirige vers le lit afin de rassembler mes affaires. Mon regard s’attarde sur les draps tirés et je songe à ma couette sous laquelle j’aimerais me terrer pour oublier.

— Ah bon ? repris-je, parce que tu sais ce que je pense à cet instant ? Et bien tu vas pouvoir me le dire, car moi j’en ai aucune idée ! Je n’arrive même pas à réfléchir ! hurlé-je. Tu as placé mon smartphone sur écoute ! Bon sang Nicolas, c’est quoi ton problème ? C’est en rapport avec tes accusations ? Tu espionnes mes conversations avec mes amis ? Tu cherches à me mettre dans ton lit pour avoir des infos ?

— Pas du tout… laisse-moi t’expliq…

— J’aurais peut-être préféré ça ! le coupé-je. Tu es un maniaque du contrôle, un manipulateur ?

— Tu lis trop de romans Inès, dit-il avec un sourire entendu.

Ses pupilles supplient le pardon, mais mon cœur d’artichaut ferme toutes ses feuilles et se déleste des kilos de sentiments en trop.

— J’ai plus envie de rire ! débité-je orageuse. Tu as joué avec moi, ma naïveté et tu n’imagines même pas…

Les mots forment une boule dans ma gorge, refusent de traduire mes maux. Une parcelle de moi ne m’appartient pas, elle s’est abandonnée à tous les hommes que j’ai trop aimés. Et, j’ai cru à tort que Nicolas pourrait me réconcilier avec ma part d’ombre.

Je ferme ma valise, tandis que ma confiance se fracture un peu plus. Mes yeux tristes se lèvent vers lui abattu au milieu de la chambre contaminée par nos émotions. L’espace meublé par nos fantasmes et nos caresses semble se ternir aussi vite que mes souvenirs.

Les épaules voutées, Nicolas me fixe désormais silencieux. Mon corps déconnecté est déjà tourné vers la sortie. Le vide entre nous symbolise un autre échec et ma raison me balance son éternelle rengaine " je t’avais pourtant prévenue !" Le burn-out sentimental me guette. Lessivée par l’opposition chronique entre mes attentes, la réalité, l’amour et la trahison, je veux seulement fuir et me recroqueviller dans un coin.

Je m’approche de la porte, pose ma main tremblante sur la poignée. Celle de Nicolas vient couvrir la mienne, je me crispe très fort lorsque nos peaux entrent une nouvelle fois en contact.

Sans invitation, ma mémoire sensorielle fait défiler dans ma tête, la douceur de ses lèvres, l’impatience de son corps et son odeur enivrante.

Dans ma vie amoureuse chaotique et pleine de paradoxes, cet homme aura marqué ma chair à jamais. Pitié ! Privez mon être encore en attente, de sa bouche gourmande, de son physique harmonieux. Peur d’être continuellement submergée, je dégage mes doigts brusquement, mais mon bourreau aux mains de velours est toujours trop près de moi.

Deux petits coups discrets sur la porte me sauvent de sa proximité. J’ouvre le battant et laisse entrer un garçon d’étage à l’allure impeccable.

— Bonjour Madame, Monsieur, voici votre petit déjeuner surprise, annonce-t-il.

Une fleur unique est disposée sur la desserte, perdue au milieu du faste de la vaisselle et des couverts travaillés. Les viennoiseries dorées parfument la pièce, les toasts en forme de cœur secouent l’énamourée encore tapie au fond de moi. Pour terminer, deux cloches argentées, promesses de mystère, trônent près d’une corbeille de fruits.

— Entrez jeune homme. Je vous laisse voir ça avec monsieur, moi j’ai déjà eu mon lot de surprises pour aujourd’hui !

Les yeux étonnés de l’employé trahissent sa silhouette inflexible. Sans un dernier regard vers Nicolas, je ferme la porte sur lui, sur nous.

Telle une coquille vide, je m’enfuis dans le couloir trop étroit. Le tapis rouge est sans fin, je longe les murs prise dans l’étau de ma souffrance. Je croise un couple rayonnant d’amour, pétillant d’envie. Collés à leur bouche respective, l’homme et la femme passent devant moi sans me remarquer. Ma tristesse m’a effacée du champs de vision des gens heureux.

J’arrive devant l’ascenseur, m’acharne sur le bouton d’appel. Au loin, Nicolas sur le seuil de la porte, scrute dans ma direction. Une part de moi, droguée à lui, souhaite le voir courir pour me retenir, mais l’autre songe maintenant au sevrage qui m’attend.

Je pénètre dans la cabine, suivie par ma peine, ma colère et ma rumination. Elle m’enfonce dans les étages, puis m’égare dans mes réflexions. Mes pensées jonglent entre mon amour pour l’amour, mon cœur d’artichaut qui cache sans doute une dépendance affective. Alors oui, je vais encore me perdre pour je l’espère, mieux me retrouver.