Fyctia

(Et voilà on reprend dans le bon ordre)

Sa mère lui prit le bras et la dirigea vers l’un de ceux qui arborait une jolie plaque en bronze. Il était écrit dessus “Docteur Adams, médecin psychiatre”. Elle eut la surprise de découvrir une salle d’attente luxueuse. La pièce était quasiment vide à une exception près. Un jeune homme était assis dans un coin, les épaules voûtées, l’air renfrogné, mais surtout déprimé. Physiquement, il était habillé un peu comme elle, brun avec une coupe de militaire, plutôt musclé avec néanmoins un visage très fin, presque efféminé. Il leva sur elle de magnifiques yeux gris-verts. Si elle devait se souvenir d’un détail le concernant, ce serait très certainement de cela. Bien loin de ses yeux d’un bleu tout à fait banal. Il avait un regard captivant. À vue d’œil, elle lui aurait donné la vingtaine. Cependant sa tristesse apparente avait tendance à le rajeunir. Comme un petit poussin brisé que l’on avait envie de bercer contre soi. Ou peut-être était-ce elle qui le voyait comme cela, car ses parents, eux, lui lançaient des regards suspects comme s’il s’agissait là d’un être dangereux.

— Arrête de le dévisager, lui glissa Daphnée à l’oreille. On ne sait pas ce qu’il peut nous faire. Il doit sûrement être fou puisqu’il est là.

Eden la regarda avec hébétude, la bouche ouverte et les yeux grands écarquillés. Se ressaisissant, elle leva les yeux au ciel et répondit d’une voix normale :

— Et alors ? Moi aussi je suis folle.

Sa mère pinça les lèvres en rougissant, gênée d’être mise en cause. Heureusement, ou malheureusement, l’instant fut brisé par l’arrivée du médecin.

— Monsieur Evan Blake ?

Le soldat dépressif redressa le visage et regarda le docteur d’un œil morne. Ce dernier eut un sourire encourageant.

— Je peux vous faire patienter un instant ? Ces personnes ont rendez-vous. Je vous prendrai juste après.

Ledit Evan hocha la tête, puis le docteur Adams se tourna vers les parents d’Eden.

— Monsieur et Madame Stanford, je souhaite vous consulter d’abord tous les deux pour recevoir votre témoignage.

— Sois sage, lui lança son père avant de se lever à la suite de Daphnée et de pénétrer dans le bureau.

Sois sage voulait dire “Ne parle pas à cet inconnu.” Alors, évidemment, c’est ce qu’elle s’empressa de faire. Dès que la porte se fut refermée sur les trois individus, la jeune femme se tourna vers lui.

— Moi c’est Eden, déclara-t-elle en lui tendant la main.

Il lui fit un check avant de reprendre son air renfrogné.

— Pourquoi tu es là ? lui demanda-t-elle curieuse.

C’était la première fois qu’elle allait voir un psychiatre. D’ailleurs, c’était la première fois qu’elle rencontrait quelqu’un ayant besoin d’en voir un. Elle était donc curieuse sur ses raisons puisqu’elle-même ne comprenait pas très bien ce qu’elle faisait là.

— J’ai fait une tentative de suicide, répondit Evan d’une voix rauque de fumeur.

— Oh merde ! lâcha Eden de manière maladroite. Et… ça va ? Tu vas pas recommencer ?

Il haussa les épaules.

— Et toi ?

— J’ai des trous de mémoire, lui avoua-t-elle. Je ne sais absolument pas ce qu’il se passe, mais cela a suffisamment inquiété mes parents en tout cas, elle regarda autour d’elle comme pour vérifier qu’ils n’étaient pas écoutés, puis se pencha pour lui avouer sur le ton de la confidence : Je ne sais même pas d’où sortent les vêtements que je porte. Je ne me souviens pas de les avoir mis.

— Et c’est tout ?

Elle haussa à son tour les épaules.

— Quand j’en saurai davantage, je te raconterai. À condition que tu me dises pourquoi tu as voulu mettre fin à tes jours.

Il baissa la tête, l’air gêné, avant de grommeler.

— J’ai eu un accident. Grave. Et j’ai des difficultés à me passer de ce fichu fauteuil. Je ne suis pas certain que je pourrai m’en remettre un jour.

Elle le regarda avec des yeux ronds. Elle n’avait pas remarqué qu’il était en fauteuil roulant et se sentit soudainement désolée.