Fyctia
La condition d'être humain.
De part et d’autre, défile un paysage surréaliste. Nous contemplons des bâtisses d’architectures inconnues, aux lignes gracieuses et harmonieuses puis, le mouvement s’accélère, il atteint une vitesse vertigineuse, nous n’entendons plus le moteur, mais un léger bruit agréable et fluide semblable à un souffle qui glisserait sur un tapis de velours.
Après la stupeur et la tension, que la situation incontrôlable avait engendrée, nous sommes désormais habités par un calme et une paix intérieure, nous nous laissons porter. Au loin apparaît le vieux manoir, planté sur sa butte, dont la silhouette lugubre fait penser à une sentinelle éternelle. Nous abordons une zone ceinturée d’une succession de remparts noircis et luisants que notre autoroute de circonstance traverse comme dans du beurre. Nous observons que ses abords ont fondu, de sa carcasse imposante s’écoule une gangue noirâtre qui s’étend sur les autres murailles, d’autres parties s’effritent se disloquant en des milliers de débris qui s’élèvent vers le ciel obscur, tout semble se dissoudre. Nous traversons une succession infinie de hautes murailles interrompues par une multitude de couloirs, de méandres et d’impasses qui partent dans tous les sens et qui ne vont nulle part ! Grosjean réagit :
— Bon sang, les gars, mais c’est un labyrinthe ce machin-là, il s’étend jusqu’à l’horizon ! Mais d’où ça sort tout ça ? Cet ouvrage titanesque n’y était pas avant-hier, et puis d’ailleurs il n’y a jamais été, je connais bien mon pays.
Puis nous apercevons des scènes incroyables, des bêtes inconnues au corps effilé, planté sur quatre longues pattes griffues, traquent des centaines de scarifiés. Elles sont dotées d’une mâchoire plantée de longues dents effilées qui se croisent, ces choses effrayantes se déplacent par bons successifs pour fondre sur leur victime et les déchiqueter en secouant avec frénésie leur carcasse. D’autres créatures à la peau vert-de-gris, ressemblant à des femmes, se déplacent sur les parois du labyrinthe à la poursuite de leurs proies et c’est alors au moment de s’emparer de leur gibier, qu’elles développent une ouverture démesurée de leur bouche qui se transforme en une gueule plantée d’une multitude de longues dents rétractiles. Ce qui se passe dans les méandres de ce labyrinthe est horrible. Il semble que toutes les forces infernales se soient donné rendez-vous dans ce lieu pour y jouer une scène dantesque dans un rythme déchaîné et endiablé.
Nous sommes si préoccupés par tout ce que nous observons, que nous n’avons pas porté attention à notre arrivée au manoir. La bâtisse n’a plus rien à avoir avec ce que les passants ont l’habitude de voir depuis trente ans ! Sa façade semble avoir subi un ravalement, ses fenêtres sont en très bon état, sur leur bord des bacs à fleurs. La porte d’entrée est recouverte d’un vernis frais, au centre du parc, le vieux bassin défoncé que nous avions aperçu quelques jours auparavant, est rempli d’eau où flotte des nénuphars. Nous nous regardons abasourdis, nous ne sommes plus étonnés au point où en sont les choses. J’ouvre la malle arrière pour y extraire mon fusil à pompe, je me saisis de toutes mes cartouches que j’insère sur le côté, je mets celles en trop dans ma poche de veste.
— Bon les gars, va falloir y aller.
— Allez savoir ce que nous allons y découvrir dans cette maison ? Je ne l’ai jamais aimé cette bicoque depuis qu’elle est la cause de la disparition de ma fiancée.
— Grosjean, on va les découvrir ceux qui t’ont fait du mal et qui en ont fait à toute la région. N’est-ce pas Karl ? On va en finir avec ces monstres.
— Crespau, considérez que nous vivons dans un rêve, pas l’habituel qui vient nous visiter la nuit lorsque nous dormons, non, celui-là, est réel ! Je veux dire qu’il est comme une image en relief qui a pris forme et texture.
— Mais que racontez-vous là ? Ça n’a ni queue ni tête votre raisonnement inspecteur.
— Pourtant mon cher Grosjean, je suis persuadé que c’est ainsi. Vous avez vécu tout comme moi cette expérience forte, vous avez vu et ressenti des émotions troublantes, je le sais, ne le démentez pas. Je vous ai vu tous les deux très affectés.
— Oui inspecteur, vous avez raison. J’avoue, avoir été troublé par ce que j’ai vu, d’autant que tout cela semblait réel !
— Mais c’était réel Grosjean, mes parents étaient bien là en chair et en os si je puis dire.
— À vous aussi, il vous est arrivé la même chose qu’à moi ?
— Oui à moi aussi. Bon, il nous reste mon fusil à pompe avec une dizaine de cartouches, et vous ?
— Moi ? Quatre balles et toi Crespau ?
— Pareil que toi, quatre.
Les deux gendarmes, après avoir extrait leur chargeur et avoir vérifié leur capacité, l'enclenchent d’un geste sec dans la crosse du pistolet qui s’entend par un « clac » !
— On ne pourrait pas tenir un siège, mais c’est suffisant pour les tenir à distance si d’aventure, ils venaient à s’exciter comme leurs congénères de la ville.
Nous nous engageons l’arme au poing vers le grand escalier qui se hisse jusqu’au perron, des lampadaires d’une autre époque fixés de part et d’autre de la terrasse sont éclairés. Nous arrêtons notre course furtive. Je fais signe aux gendarmes de se poster de l’autre côté de l’entrée, nous nous plaquons contre la façade. Je regarde le ciel qui se met à vrombir, les nuages épais et crasseux tournoient en spirales, ils laissent découvrir un étrange voile lumineux et rouge.
***
J’ai quitté la famille Domingos, je comprends que la vitesse de mon déplacement fulgurant s’est synchronisé à ma pensée, je me pose devant la bâtisse délabrée, lugubre, qui s’est perdue au cours du temps. J’observe le paysage autour de moi sans même tourner ma tête, je me suis accroupie, mes jambes repliées écrasent mes cuisses puissantes, prêtes à bondir. L’atmosphère est calme, j’entends néanmoins provenant au loin, une symphonie de voix grave, c’est un chant liturgique d’un autre temps, un cantique infernal, une incantation qui prépare au sacrifice.
Les imbéciles, ils ne savent pas ce qu’ils font. Je jette un dernier coup d’œil à cette bâtisse, de mon point de vue, accroupie, elle me paraît encore plus imposante. Bâtisse sordide dont ton antre a caché les pires méfaits, ta fin est proche à toi et à tes anciens maîtres. Avec toi, les vieux fantômes disparaîtront.
Mais l’atmosphère se met à vibrer, le sol commence à trembler, je me lève, j’observe le vieux bassin à sec se remplir d’eau, dans son reflet, se dessine peu à peu la silhouette d’une jeune femme, c’est moi.
L’imposant labyrinthe apparaît, il prend forme, s’agrège avec de la matière qui provient de nulle part. Il est enfin là ce labyrinthe dans lequel je m’étais retrouvée parachutée sans comprendre pourquoi ? Je sens en moi, en même temps, mon squelette changé, ma peau reprendre la teinte initiale.
Kāchān me l’avait dit que le processus reviendrait à l’origine de ma condition d’être humain...
4 commentaires
Aliam JCR & Cylar BRN
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Il y a 4 ans
Sissy Batzy
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans
Sand Canavaggia
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Il y a 4 ans