Fyctia
L'instinct animal.
Ma vision prend de l’ampleur, je vois sur trois cent soixante degrés, je perçois aussi bien mon environnement la nuit que le jour. Je me recule encore et encore, je tire les cantonnières pour assombrir la pièce, le temps est toujours couvert, il n’y a pas de soleil, si bien que la nuit s’installe volontiers, sans difficulté, dans ma chambre. La porte lâche, elle pivote brusquement pour aller se heurter contre la cloison de la salle de bain. Je panique, je me rends compte que je me suis hissée sur le mur jusqu’au plafond, telle une araignée se déplaçant en crabe. Je viens me vautrer au-dessus de l’entrée, la femme avance en faisant un pas, elle hésite encore.
— Il y a quelqu’un ? Je ne veux pas vous importuner.
Elle n’ose pas aller plus loin, j’entends les battements de son cœur dont les pulsations sont élevées, je sens sa peur, elle en dégage un halo envoûtant. Je vois le dessus de sa tête, ses cheveux et leur raie au milieu. La peur monte en elle, elle n’ose s’aventurer plus avant dans ma chambre. Son instinct d’animal le plus profond lui commande de partir au plus vite, de prendre ses jambes à son cou et de détaler, mais elle ne le peut pas. Elle doit montrer à son fils qu’elle ne craint rien, elle doit le rassurer. Je sais qu’il est resté très en retrait dans le couloir.
— Alors maman ? Elle est là ? Tu la vois ?
— Non mon chéri, il n’y a personne.
Elle se penche lentement pour attraper la poignée et refermer doucement la porte de ma chambre. Elle n’a pas remarqué le morceau de loquet qui était fixé sur le chambranle, qui a été arraché et qui est tombé au sol, glissant sous le lit. Si elle l’avait aperçu, elle aurait compris que j’étais dans la pièce, le loquet ne peut se verrouiller que de l’intérieur. Qu’aurais-je dû faire si elle m’avait vu ? Aurais-je dû la tuer ? Je ne ressens aucune émotion quant à cette éventualité, mais je sais que c’est mal, si tenté que je puisse donner une définition au mot « Mal ». Kāchān a raison, le mal n’est qu’un concept, une abstraction anthropologique, un sous-produit des actions de l’humain. Je lâche le plafond, ma chute est aussi souple et silencieuse que celle d’un chat. Je regarde mes mains, je les tourne et je les retourne, je regarde mes bras, mes pieds allongés, ma peau vert de gris, au bout de mes doigts, des griffes acérées que je déploie et rétracte à volonté.
Je ferme les yeux, je me concentre sur ma respiration, je dois me détendre, canaliser mes instincts de Sœur Damnée. Je sens la tension en moi se relâcher, je m’apaise, je fixe la porte, amorphe un court instant. Ma main encore tremblante, je rentre la clef dans la serrure, je la tourne pour m’assurer qu’aucune nouvelle intrusion ne puisse se faire. Je recule lentement, la chambre a disparu, je sursaute…
Autour de moi, l’assemblée des Émissaires m’observe sans mot dire. Ils se ressemblent tous, j’ai du mal à distinguer leurs différences, mais je reconnais Kāchān lorsqu’il prend la parole :
— Bonjour Rachel. Il y a dans le mouvement de votre espace-temps, un dysfonctionnement, ce phénomène tend à altérer sa courbe et son rythme au fur et à mesure que nous approchons du point de convergence.
Puis il y a un silence, ils continuent à me fixer de leur regard noir et profond. Moi, fascinée par leur majesté, je les contemple.
— L’instant de ton temps est arrivé Rachel.
— De quel instant s’agit-il ?
— De la conclusion Rachel, nous allons nous emparer des séditieux, ceux qui échappent à notre contrôle.
— Je veux savoir, je veux comprendre.
— Que veux-tu savoir ? Que n’as-tu pas compris ?
— Qui sont ces gens, ceux qui ont enlevé les jeunes filles et qu’est-ce que ce dragon noir ?
— Après la chute des derniers bastions chrétiens du Levant à la fin de votre XIIIe siècle, un groupe de seigneurs déçus, se sentant abandonnés et trahis par la papauté, dépossédés de leurs terres, dépouillés de leurs biens, humiliés par leur défaite, devinrent de simples fugitifs, eux qui avaient eu le pouvoir et la richesse. Leurs esprits s’obscurcirent, ils furent habités par une telle morgue, une telle arrogance, un tel dédain à l’égard des autres hommes qu’ils désirèrent se venger contre l’humanité tout entière. Dans leur rage, ils se détournèrent de toute compassion, de toute pitié et se tournèrent vers les forces occultes, en l’occurrence, celles du Monde Noir. Ils s’unirent en une confrérie.
— La confrérie du Dragon Noir.
— C’est exact Rachel.
— Mais que représente ce symbole ?
— Dans les croyances de certaines sociétés médiévales, le dragon symbolise l’énergie pure, celle qui traverse et qui anime toute entité physique dans votre monde matériel. Il symbolise les quatre élémentaux, l’eau, l’air, le feu et la terre, mais ces personnes l’utilisèrent dans de mauvaises conditions, leur haine, leur exaltation au plaisir de détruire. Ils façonnèrent un Égrégore.
— Un esprit de groupe ?
— Oui, c’est exact, mais comme je te l’expliquais à l’instant, cette énergie ne fut pas maîtrisée, l’entité devint autonome et l’équilibre fut rompu.
— Que se passa-t-il ?
— L’équilibre Rachel, l’équilibre vibratoire. Ils lui donnèrent un nom en l’identifiant comme étant votre Satan, celui de votre mythologie culturelle. Avec les années puis les siècles qui passèrent, cette forme-pensée nourrit par des centaines puis des milliers d’adeptes, devint plus puissante encore. C’est elle qui finalement contrôla ces adeptes, eux qui lui avaient offert une existence pour l’utiliser contre leurs ennemis.
— Mais alors pour quelle raison ces disparitions de jeunes femmes ?
— Cela fait partie de leurs rituels.
— Mais que leur apportent ces enlèvements ?
— À exciter leur sensation de domination, leur lubricité, ils se perdirent dans la débauche, la dépravation et la luxure.
— Mais que sont-ils devenus ?
— Tu le sais bien Rachel, ils sont arrivés chez nous, tes sœurs et toi les avez croisés parfois, chassés souvent. Ils sont marqués.
— Oui, les scarifications.
— Oui, les scarifications, ils sont prisonniers du Monde Noir, prisonniers de leur propre nature.
— Oui, mais alors, les frères Pendru ?
— Ils faisaient partie de cette société secrète, l’un des deux frères ne supporta pas les épreuves auxquelles il fut confronté et perdit l’esprit. Violent, tueur, il fut interné dans un de vos établissements psychiatriques.
— Oui, mais son frère parvint à le faire sortir de cet établissement.
— Il avait achevé sa peine conséquente de votre justice et au bout de vingt ans de votre temporalité, son frère put le récupérer.
— Ils sont responsables des enlèvements de la région ?
— Oui pendant leur existence physique jusqu’à la mort du dernier frère.
— Mais ensuite, les enlèvements ont perduré, alors je ne comprends pas.
— Mais Rachel, ils sont nombreux, il y en eut d’autres. Ils continuèrent par conséquent le rituel des enlèvements.
— Oui, mais la cave de leur manoir ? Ce que j’y ai vu !
22 commentaires
Gottesmann Pascal
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans
Lyaminh
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans
Véronique Rivat
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans