Mélanie Chloé Sevilda À la croisée des chemins La Chute

La Chute

Je vole au-dessus d’un paysage magnifique, sauvage. C’est l’été, il fait chaud, l’air qui me fouette me donne la chair de poule sur ma peau brûlante. Je survole les montagnes, je me sens sereine. Un point brille au loin et je décide d’aller voir ce que c’est. Je m’incline et entame la descente, rapide, effleurant le flanc de la montagne. Le diamant que je vise m’aveugle légèrement et mon but est flou. Mais ma vision se précise à mesure que je m’approche.

C’est l’eau chatoyante d’un lac qui brille. De mon lac. De notre lac.

Il est là. Je plane juste au-dessus d’Aidan.

Quelque chose d’humide se pose sur mon front, mes yeux s’ouvrent tout doucement et le brouillard se dissipe. Je me suis étalée sur le sol devant l’autel ! Et j’ai dû cogner assez fort vu le mal de crâne qui se réveille en même temps que moi.

Mon pied est bloqué par quelque chose… une manivelle. Je suis dans la voiture d’Arthur. Dans les bras d’Adrien qui m’éponge délicatement le front.

— De retour parmi nous ?

— Je crois…

— Tu as une belle bosse sur le front. Nous étions sur le point de partir aux urgences.

— Je suis désolée…

— Tu vas bien ?

— J’ai mal à la tête, mais je crois que tout le reste est en ordre.

Je me passe la main sur le crâne et sens du bout des doigts que j’ai perdu quelques roses au passage.

— Si tu ne t’étais pas évanouie, je ne me serais pas autant inquiété. Et si cela n’avait pas été en plein milieu de la cérémonie, ç’aurait été très drôle. Tu te sens de retourner là-bas ou tu veux qu’on aille vérifier que tout va bien ?

— Je suis vraiment confuse, je murmure.

Ma voix est légèrement tremblante et je crois qu’Adrien le remarque.

— On peut rester ici encore un peu. Tu as besoin de quelque chose ? Arthur, est-ce que vous pouvez nous trouver un peu d’eau s’il vous plaît ?

— Nana a sûrement une bouteille dans son sac, j’ajoute.

Arthur s’éclipse. Adrien me caresse le visage et demande :

— Tu veux peut-être… rentrer à la maison ?

— Non.

— Ah ! fait-il, soulagé.

Il ignore que mon « non » était bien plus large.

— Mais…

— Est-ce que c’est le genre de « mais » qu’un futur marié redoute d’entendre ?

Il a compris. Je me redresse et lui fais face.

— Je crois…

— Tu crois ?

Je panique. Je ne peux pas lui faire ça. Je ne peux pas parier sur un simple souvenir au risque de le blesser profondément et de détruire tout ce que l’on a construit ensemble.

Et pourtant…

— J’en suis sûre.

Je me rends compte que je ne peux entrer dans cette vie, certainement parfaite, mais qui n’est pas pour moi. Je ne mérite pas ça et Adrien non plus.

— Je suis tellement navrée.

— Oh, Héloïse…

— Tu ne me pardonneras jamais.

— Le plus ridicule c’est que je l’ai senti, mais que je n’ai pas voulu y prêter attention.

Je suis surprise ; moi je n’ai rien vu venir, rien prémédité.

— Comment ça ?

— Tu m’as semblé plus distante ces derniers temps et j’ai mis ça sur le stress de la préparation du mariage, voire du mariage en lui-même. Est-ce que… j’ai fait quelque chose qu’il ne fallait pas ?

Je suis en train de faire la pire chose que l’on puisse faire à un être aussi gentil.

— Adrien, il n’y avait rien que tu puisses mieux faire. C’est ma faute.

Il tend la main vers moi, m’effleure la joue et remet une mèche de cheveux derrière mon oreille. Même si je n’en ai pas le droit, je pleure.

Je lui ai volé ce moment et je lui vole également ses larmes.

— Tu as raison, dit-il calmement. Je ne pourrais pas te pardonner.

Et nous voilà ici, dans cette petite voiture, étouffant au milieu de mes jupons, pour cet au revoir. Pour cet adieu silencieux.

Après un court instant qui semble une éternité, Adrien sort de la voiture. Il retourne à l’intérieur de l’église. Je fixe cette porte immense, fermée sur un avenir qui aurait pu être mien.


Quelques instants plus tard, Nana sort de l’église suivie par Arthur. Ils s’installent tous les deux à l’avant et Nana se retourne.

— Ça va, ma chérie ? s’inquiète-t-elle en m’attrapant la main.

Je prends le temps de réfléchir à la question.

— Je suis tellement désolée, j’affirme en pleurs.

— Oh tu n’as pas d’excuse à me présenter, mon petit colibri.

Puis, sous les larmes, je souris :

— Oui, ça va Nana !

— Où est-ce qu’on va, mademoiselle ? S’enquiert Arthur.

Les deux me regardent avec un frisson d’aventure dans l’œil.

— Regardez-vous ! Vous avez l’air aussi euphorique que Dustin Hoffman et Katharine Ross dans Le Lauréat. Sauf que la mariée c’est moi et que je suis toute seule.

— Et le colibri de la photo ? Demande Arthur.

— Quelle photo ? Questionne Nana.

— Madame n’est pas dans la confidence ? Il semblerait qu’Héloïse m’ait déjà adopté, se targue-t-il.

— Il va falloir plus que ça Arthur, dis-je. Commencez par démarrer, en route vers l’aéroport ! Profitons de l’euphorie ambiante avant qu’elle ne retombe et que je réalise la folie de cette décision. Comme pour Benjamin et Elaine.

Arthur démarre puis la voix de Nana couvre le bruit du moteur :

— Mais est-ce que quelqu’un peut m’expliquer ?

Je récupère la photo que j’avais glissée dans la porte et la lui tends.

— Tu te souviens quand je suis partie en Écosse ?

— Oui…

— J’y ai rencontré quelqu’un.

— Oh… Oh ! Je vois. Je me disais bien qu’il y avait eu quelque chose.

— Ah bon ?

— À ton retour, tu étais légère et guillerette tout en étant si nostalgique. Ça a mis du temps à s’estomper. Donc tu vas en Écosse ? S’étonne-t-elle.

Je hoche la tête de peur que si je le formule, mon courage ne s’effrite.

Alors je murmure : « Allons-y ! »

Oui, je pars.

Je vais retrouver Aidan.

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2 commentaires

Marie Andree

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Il y a 5 mois

Pauvre Adrien mais elle prend la bonne décision c'est sûr. 👌
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