Debbie Chapiro A green Christmas Chapitre 6.2 - Noor

Chapitre 6.2 - Noor

J’ai réussi à m’endormir malgré mes tergiversations. Quand je me réveille, un peu vaseux, l’appartement est silencieux. La curiosité me pousse à jeter un œil dans la chambre de ma colocataire. Elle est vide. Le lit est fait, la bassine rangée. Aucune trace de la débâcle de la veille. Je n’ai jamais connu de cuite, mais mes amis auraient été bien incapables de se lever tôt pour aller bosser. Cette femme est Wonderwoman.


En refermant sa porte, un petit papier attire mon attention sur le plan de travail de la cuisine et me fait sourire.

  • “Merci pour hier soir. O.”

Griffonné sur le même post-it rose. Posé à l'endroit exact où j’avais disposé le mien. Elle cherche à raviver ma mémoire. Mais je me souviens de tout. Bien plus que je souhaiterais. Que cette soirée est encrée en moi et que je voudrais effacer chaque trait de ce tatouage indélébile. Cette femme est une sirène qui provoquera mon naufrage.


Après un petit-déjeuner rapide et une douche revigorante, je me remémore sa dernière phrase en esquissant un rictus. Elle ne lâche rien. Je ne lui ai volontairement fait aucun retour sur son dossier pour la laisser mariner et elle me met face à mes actes dans un moment de faiblesse réciproque. Je devrais me méfier de son sourire enjôleur. Cette femme est aussi une tacticienne de talent.


Je récupère son pavé dans ma chambre et m’installe sur la table de la salle à manger. J’ai épluché toute sa planification, même si je ne lui en ai pas touché un mot. Un peu par provocation et beaucoup pour repousser le début de notre collaboration. Elle a effectué un travail de dingue, de recherche, d’organisation, d’appels d’offres... Elle a pensé à beaucoup de choses, mais hors de question que je l’admette si facilement.


Mon ordinateur m’annonce une demande de visio. Julien est pile à l’heure pour notre réunion. Il commence à faire un point sur mes prochains textes à rédiger. Une mise à jour de notre enquête sur l’avenir des orques du Marineland d’Antibes. Un interview de notre contact au Liban pour parler de l’impact de la guerre sur la scolarisation des enfants.


Après ce temps de travail, la discussion prend un tour plus personnel. Bosser avec ses amis pourrait être risqué, mais avec les miens c’est une aubaine. Pas besoin de faire semblant ou de jouer un rôle. Ils sont ma famille de cœur. Dans une fratrie, on a toujours un préféré, non ? Ou du moins une personne à qui on peut se confier plus facilement. Julien l’est pour moi. Il est d’ailleurs le seul au courant de ma rencontre étonnante de l’année dernière. Les autres m’auraient charrié à longueur de journée. Ju se contente de le faire en privé.


— Comment ça se passe ? s’enquiert-il.

— Si j’en crois le programme établi par ma nouvelle collègue, on va commencer les joyeusetés de Noël la semaine prochaine.

— Alors, tu as fait quoi en attendant ?

— J’ai bossé sur la correction de mon bouquin.

— Ah cool. Et t’as trouvé le truc qui te manquait ?

— J’ai une piste.


En dehors du boulot, j’écris des romans. Principalement de la science-fiction et des thrillers. J’en ai auto-édité trois et je dois me rendre dans un salon du livre à Strasbourg dans quelques jours pour en faire la promotion. Je suis en réécriture de mon dernier et je bloque un peu. Il manque une intrigue secondaire, mais jusqu’ici, je ne trouvais pas de pistes. Dans cet environnement différent du mien, une idée m'est apparue. J'ai décidé d’ajouter une histoire d’amour, un enjeu dramatique et universel.


— En parlant de ça… la fille ? Tu l'as revue ? se gausse Julien.

— Pire que ça, grogné-je. Je bosse avec elle et je vis même dans son appart.


Il éclate de rire. C’est beau l’amitié et le soutien entre potes !


— Oh mec, t’as vraiment un karma de merde, ou alors une bonne étoile. Va savoir.

No comment.

— Je dois te laisser. On a une réunion. Promets-moi de sortir de ta grotte. T’es pas parti à l’autre bout du pays pour encore t'enfermer. Ta colocataire peut te faire visiter, conclut-il avec un clin d'œil.

*

Vers treize heures, alors que j’ai commencé à plancher sur mes articles en cours, j’entends du bruit dans l’escalier. Jusqu’ici, Othilie n’est jamais rentrée déjeuner à son appartement. Pourtant c’est bien elle qui pointe le bout de son petit nez en trompette. Malgré de profonds cernes violacés et sa mine encore plus pâle que d’habitude, son sourire reste rayonnant.


— Salut, je te dérange pas ? demande-t-elle en parlant tout bas pour ne pas briser le silence qui m'entoure.

— T’es chez toi, je te rappelle, répliqué-je avec détachement.


Elle lève les yeux au ciel en haussant les épaules d’un air délicieusement insolent. Elle passe dans la kitchenette et se lave les mains.


— Je prépare le déjeuner pendant que tu finis, si tu veux. Tu manges de tout ? s’inquiète-t-elle.

— Je suis végétarien, mais ne t'embête pas. Cuisine un truc pour toi et je me débrouillerai.

— Non pas de soucis. Je suis flexi, me lance-t-elle avec un sourire ravageur.


Il va sans dire que je n’arrive plus à rien faire. Sa présence court-circuite complètement mes axones neuronaux. Comment vais-je m’en sortir pour travailler avec elle ?


Elle dépose deux assiettes d’omelette aux champignons avec du riz sur la table basse. Je me lève pour l’aider à apporter le reste dans un silence religieux. Puis, nous nous installons côte à côte – mais à une distance raisonnable – pour déguster son plat.


— Désolée, je suis pas un cordon-bleu.

— C’est parfait. Tu veux qu’on travaille sur ton dossier si j’ai bien compris, rentré-je dans le vif du sujet, tout en la mettant mal à l’aise.


Elle s'éclaircit la gorge avant de se tourner vers moi. Elle a beau garder son masque, je repère une once de gêne, notamment dans la teinte rosée de ses joues.


— Encore désolée pour… ça. Mais oui. D’ailleurs, j’espérais avoir ton retour un peu plus tôt, avoue-t-elle.

— Je peux me rendre disponible cet après-midi.

— Parfait. Oliver s’occupe du magasin, je suis libre comme l’air.


Elle se renforce dans le canapé, les jambes en tailleur avec son assiette en main et un soupir de contentement qui me fait frissonner.


Nous passons la suite de la journée à décortiquer les événements prévus : décorations, marché de Noël ou encore parade de la Saint-Nicolas. Je fais mon possible pour me montrer froid et peu loquace, même si, pour ça je n’ai pas besoin de beaucoup d’efforts. Je prends soin de ne pas complimenter son travail et de pointer du doigt les quelques choses à améliorer. Pourtant, elle reste concentrée, prenant sur elle. Est-elle habituée au manque de reconnaissance ? J’aurais préféré la voir se rebiffer et m’insulter comme elle l'avait fait dans le bar, sans savoir qu’il s'agissait de moi. Son attitude me fait passer pour un phallocrate de la pire espèce. Et je ne peux m'empêcher de me dire qu’elle a anticipé mon jeu et qu’elle le fait exprès. Ou alors j’essaie de m'en convaincre pour moins culpabiliser.


En fin d’après-midi, elle me propose une soirée jeux. Je décline, incapable de rester plus longtemps en sa présence sans devenir fou.

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20 commentaires

Ama Ves

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Il y a 4 jours

La présence d’Othilie le chamboule bien, il est dans le calcul de toutes ses actions exprès pour avoir un impact sur elle ahha. Othilie est adorable, elle ne fuit pas sa présence même lorsqu’il est casse-pieds. J’ai hâte d’avoir son point de vue pour avoir ses réflexions internes !

Debbie Chapiro

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Il y a 4 jours

Oui je trouve ça intéressant dans une dynamique de faux semblants d'avoir besoin des réflexions internes pour comprendre les réactions des personnages.

GwendolineBrument

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Il y a 5 jours

Il a envie d'ajouter une histoire d'amour à son roman. Serait-ce pour coucher sur papier ce qu'il ressent pour Othilie, faute de pouvoir lui confier ? Noor, suis donc les conseils de ton ami!

Debbie Chapiro

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Il y a 5 jours

Malheureusement, il est un chouia têtu le monsieur.

Marie Andree

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Il y a 5 jours

Ouh là, il est quand même un peu borné, notre Noor ! 😁 Il va falloir nous le détendre un petit peu, et rapidement, Debbie ! 😂💕

Debbie Chapiro

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Il y a 5 jours

Un peu d'esprit de Noël (écolo ça va sans dire) devrait le dérider.
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