Ivaloo A fleur de peau Un indien, un voyage, la foule

Un indien, un voyage, la foule

Je me sens bercée par le rythme des vagues qui s’échouent sur la plage. L’océan respire et m’invite à faire de même, à ralentir les battements de mon cœur et le flot de mes pensées. Mon sac est prêt, je prends le train dans quelques heures, mais je voulais me recueillir quelques instants avant de prendre le chemin de la gare. Face à l’horizon flamboyant que peint le soleil levant, je me sens bien, apaisée. Prête à affronter Paris, son dynamisme, sa foule.


Du coin de l’œil, je vois Benjamin qui s’installe à mes côtés, déposant une étole sur mes épaules au passage. Il a ramené sa guitare avec lui et commence à jouer doucement. J’observe mon frère, les genoux remontés contre ma poitrine. Il a les yeux fermés comme pour mieux s’imprégner des sons qui nous entourent. Il joue avec la brise qui emporte chaque note de musique avec elle, et danse dans ses cheveux défaits. J’ai parfois du mal à me dire qu’il a 27 ans. Je retrouve encore parfois des accents d’innocence dans son regard bleu océan qui me rappelle le petit garçon qu’il était il y a quelques années. Mon petit frère est pourtant un adulte accompli, je devrais commencer à m’y faire maintenant.


Mon cancer n’a pas touché que moi dans cette histoire, du jeune homme encore naïf il est devenu un homme responsable, j’ai même parfois l’impression que c’est lui le grand frère tant la maladie a exacerbé son côté protecteur. Parfois je le sens soucieux, notamment lorsque je suis fatiguée, parce que c’est ça aussi les conséquences de la maladie sur ceux qui nous entourent, instiller de la peur dans nos vies. Cette peur, qu’on croit loin et pourtant qui attend son heure, là tapie dans un coin, telle une araignée qui tisse sa toile et qui attend le moindre relâchement, la moindre faute d’attention pour se ruer sur sa victime.


Mais il restera toujours mon petit frère, mon pilier malgré tout. Celui qui, par solidarité et soutien, s’est rasé le crâne à blanc le même jour que moi parce que je commençais à perdre les cheveux par poignées. On pourrait penser que c’est plus facile pour un homme d’être chauve, mais pas pour Benjamin, pas quand on le connaît. Il a toujours eu les cheveux longs et ce depuis ses 10 ans, quand sa passion pour les amérindiens lui a fait décréter qu’il ne les couperait plus jamais, que lui aussi il serait un guerrier des Grandes Plaines ! Mon petit rêveur… C’est pourquoi son geste m’a touché, profondément. Je me souviens encore de ce qu’il a dit lorsque les dernières mèches sont tombées au sol et qu’il s’est tourné vers moi, sourire aux lèvres : « Un guerrier ne se mesure pas à la longueur de ses cheveux». Mais je voyais bien à quel point leur perte le perturbait, même s’il s’efforçait de ne rien montrer. Aujourd’hui, ils ont bien repoussé et je suis contente de voir que le petit garçon de dix ans en lui n’a pas complètement disparu. Et puis ça lui va tellement bien !


« Alors, prête pour le voyage ?


- Et comment ! ça va être gé-nial ! je sais qu’on y va pour le Mondial, à la base, mais j’ai déjà prévenu Chloé qu’on devra aller à Montmartre, je veux absolument voir le Sacré-Cœur, et tu savais qu’on pouvait monter tout en haut ? La vue doit être incroyable… Oh, et je veux absolument manger une glace chez « Une glace à Paris », celle à la pistache et néroli, en plus il paraît que leur Maître glacier est meilleur ouvrier de France !!


- Pff, toi et les glaces alors… » rit-il en m’ébouriffant les cheveux.

C’est vrai que la crème glacée c’est mon péché mignon… Et quand en plus, elle est artisanale ! Que demande le peuple, je vous le demande ?


Le soleil est maintenant complètement levé, et il est l’heure pour moi de rejoindre ma meilleure amie à la gare. Mon frère me sert de chauffeur. J’adore les voyage en train ! C’est toujours une merveilleuse façon pour moi de découvrir les beaux paysages de notre pays, bercée par les staccatos réguliers des roues sur les rails. Rien que le trajet m’enchante, je crois que je pourrais me contenter de ça. Il paraît que ce n’est pas tant la destination qui compte mais le voyage pour y arriver, et je dois reconnaître que ça me correspond parfaitement. Alors que le voyage commence !


***


Du monde… Du monde partout ! La Grande Halle de la Villette est blindée de gens, une véritable marrée humaine, à telle point que nous avons du mal, Chloé et moi, à nous frayer un passage jusqu’aux différents stands. Les haut-parleurs hurlent le programme au fur et à mesure qu’avance la journée, mais c’est à peine si j’entends ce qui se dit par-dessus le brouhaha ambiant. De quoi devenir agoraphobe !


Je m’agrippe à la main de Chloé pour ne pas la perdre dans la foule tandis qu’elle ouvre la marche et que nous nous faufilons tant bien que mal entre les corps. Le nombre d’artistes présents est assez incroyable, tous les styles de tatouage sont représentés par les différents salon qui participe à l’évènement. Sur la scène principale se déroulent les concours du Mondial : grande pièce noire, grande pièce couleurs, etc… Nous poursuivons notre chemin jusqu’à un stand qui attire notre œil. Des tatouages de reconstruction y sont proposés.


« Qu’est-ce que ça veut dire, tatouage de reconstruction ? demandé-je dans un murmure à mon amie.


- Hein ? Parle plus fort ma poule j’entends rien avec tout ce monde… »


Je réitère ma question une deuxième, puis une troisième fois en augmentant le volume de ma voix à chaque fois. Quand enfin elle a compris, Chloé s’apprête à me répondre mais la femme, recouverte de tatouages et de piercings, qui tient le stand le fait à sa place.


« Ce sont des tatouages à visée thérapeutique, dans un sens, qui viennent recouvrir des cicatrices dues à des maladies ou encore, des accidents, et que les personnes ne supportent plus de voir. En général, il est très difficile pour elles d’accepter cette marque parfois peu esthétique parce que boursouflée, très grande ou autre, et pour mieux apprivoiser cette partie de leur corps, d’une certaine façon, elles décident de la recouvrir d’un dessin encrer dans la peau. »


D’instinct, ma main se lève pour se placer au-dessus de mon sein droit, enfin quand il était encore là. Je surprend le regard de la femme à qui mon geste n’a pas échappé. Je détourne les yeux gênée, et préfère me concentrer sur le travail qu’est en train de réaliser un homme un peu à l’écart. Même s’il est un peu en retrait, et que son dos me bouche en majeur partie la vue, je peux apercevoir le début d’un magnifique dessin de pieuvre, mi-réaliste mi-graphique, qui s’étendra du dos vers les côtes gauche de la femme qui est sur la table. Fascinée par le spectacle, je sursaute lorsque Chloé pose sa main sur mon bras pour attirer mon attention. Elle me fait signe qu’elle continue d’avancer et je la suis, non sans avoir récupérer la carte du salon au passage et saluer la femme derrière la table.



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2 commentaires

Azalyne Margot (miss Ninn)

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Il y a 4 ans

très beau, très poétique, j'adore!!!

Ivaloo

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Il y a 4 ans

Merci 🤗🤗 Merci pour ton soutien 😘
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