Fyctia
Chapitre 3 - Partie 2
Le chemin vers l’Académie ne se fit pas sans mal. Auris et moi nous soutenions l’un l’autre mais nous montrions tous les deux des signes d’épuisement anormaux et franchement inquiétants. Je savais que j’avais perdu trop de sang. J’avais des vertiges et du mal à conserver mon repas, mais ce n’était rien comparé à mon compagnon. Plus le temps passait, plus je sentais son poids peser sur moi et il était loin d’être léger. C’était un guerrier, bien plus grand que moi et à la musculature développée en conséquence de nos entrainements. J’avais donc conscience que s’il ne parvenait plus à marcher, je serais incapable de le porter. Ou même de le trainer. Ma seule option serait alors de l’abandonner le temps de chercher de l’aide, et ce n’était pas envisageable.
— Tu tiens le coup ? demandai-je lors de notre troisième pause en une heure.
Nous étions affalés contre un tronc d’arbre, presque à bout de forces, alors que nous n’avions pas fait le quart du chemin.
— Évidemment. Attends, tu m’as vu ? Ce ne sont pas deux ou trois contusions de rien du tout qui vont avoir raison de moi.
Je lui jetai un regard circonspect.
À son teint pâle, presque grisâtre, on aurait pourtant juré le contraire. Ça contrastait même sévèrement avec la couleur ambrée de sa peau en temps normal, mais je ne le contredis pas. Au lieu de quoi, je lui passai la gourde afin qu’il boive un peu, même si je ne savais pas si c’était la bonne chose à faire.
Nous avions eu l’occasion de nous débarbouiller lors de notre précédente pause le long d’une rivière, mais je sentais mes vêtements imbibés du sang séché de la bête se figer de plus en plus, les rendant rêches et désagréables à porter. Je ne parlais même pas de l’odeur, probablement la seule raison pour laquelle nous n’avions pas rencontré d’autre prédateurs plus normaux mais non moins dangereux. Quant à ma cuisse… Disons que le saignement n’avait pas cessé et que la douleur paralysait maintenant quasiment toute ma jambe jusqu’à la hanche.
Auris ne s’en sortait malheureusement pas mieux. J’avais examiné son torse lorsqu’il avait courageusement bravé le froid pour se laver un minimum et il arborait un énorme hématome violacé le long de son flanc et sur son abdomen. À en juger sa respiration difficile, je doutais que ce soit bénin et mon inquiétude ne cessait de croître.
— Auris… Je suis désolée, lâchai-je soudainement.
Il me lança un regard surpris, presque effaré. C’était certainement la première fois qu’il m’entendait prononcer ces mots.
— Pour ?
— Pour tout ça. De t’avoir entrainé là-dedans.
Il leva les yeux au ciel.
— J’avais besoin de prendre l’air hors de l’Académie. T’accompagner n’a été qu’une excuse.
Je ne savais pas s’il disait cela pour me rassurer mais il avait l’air sincère. Néanmoins, s’il devait lui arriver quelque chose de… permanent, je ne pourrais jamais me le pardonner.
— Tu imagines si on meurt ici ? reprit-il avec un léger sourire aux lèvres. À quelques semaines de la Sélection, les deux meilleurs éléments de l’Académie du Ciel décèdent tragiquement dans les bois. Ça ferait jaser.
Je ne pus retenir à sourire malgré son humour morbide, car il n’avait pas tort. La réputation sans tâche de notre lieu d’entrainement en prendrait un coup. Tout comme celle de Kester. Celui-ci n’allait pas tarder à s’inquiéter si nous ne rentrions pas bientôt. C’était d’ailleurs peut-être déjà le cas. Avec un peu de chance, il enverrait nos meilleurs pisteurs sur nos traces mais… J’avais comme un doute. J’étais partie comme une gamine colérique et capricieuse, chose que mon mentor exécrait par-dessus tout. C’était d’ailleurs bien pour ça que je l’avais fait, mais je m’en mordais les doigts maintenant. Parce que les chances pour qu’il décide de nous laisser nous débrouiller étaient grandes. Après tout, normalement nous ne risquions rien, Auris et moi.
— Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Emerik aurait enfin une chance, répondis-je d’une voix amusée.
Auris pouffa difficilement et une grimace déforma son beau visage.
— S’ils en viennent à le choisir pour représenter notre prestigieuse Académie, c’est qu’ils sont désespérés !
Je ris doucement.
— Il n’est pas si mauvais. Il m’a battue il y’a quelques jours.
— Il a triché.
— Il n’y a pas de triche en situation réelle. Autant nous y habituer tout de suite.
— Je pense que c’est ce qu’on est en train de faire, là, souligna-t-il faiblement mais avec malice.
Je souris en acquiesçant. C’était la deuxième fois en peu de temps que je me faisais avoir par manque de vigilance. Il n’y en aurait pas de troisième. Nous apprenions peut-être les leçons à la dure, mais c’était ce qui nous permettrait de survivre à tout ce qui nous attendait. Du moins, si nous surmontions cette épreuve-ci.
— Tu penses qu’ils enverront quelqu’un ? demandai-je après quelques instants de silence, dans l’espoir que ses projections soient différentes des miennes.
Je ne reçus cependant aucune réponse. Je me tournai donc vers Auris dont les yeux s’étaient fermés et mon cœur cessa de battre quelques secondes. Sa poitrine ne se soulevait plus et un mince filet de sang coulait au coin de ses lèvres.
Non. Non, non, non, non !
Je me jetai aussitôt sur lui, faisant fi de la douleur irradiante dans ma jambe qui manqua m’arracher un cri, et posai mon oreille contre son torse. Il ne respirait plus, mais son cœur battait encore faiblement. Il était en train de mourir.
— Auris ! Auris réveille-toi ! Respire ! hurlai-je en le secouant, complètement désemparée.
Bien évidemment, cela n’eut aucun effet. Je ne savais pas quoi faire. Il n’y avait pas âme qui vive à des kilomètres à la ronde, personne pour nous venir et aide, et j’étais d’une totale inutilité. Il fallait que je trouve quelque chose, n’importe quoi. Je ne pouvais pas le laisser mourir. Pas lui.
Alors que je cédais à la panique, des larmes coulant sur mon visage sans que j’y prête attention, je posai une main sur sa joue et l’autre sur son torse. Ses battements se faisaient de plus en plus irréguliers et lents mais lorsque le désespoir le plus complet m’envahit, je sentis autre chose. Une petite étincelle de pouvoir venait de s’allumer en moi et cherchait visiblement à attirer mon attention. Ses filaments lumineux se déployèrent lorsque je me concentrai sur elle, entremêlés de volutes d’ombres, mais je ne cherchai pas à comprendre ou analyser quoi que ce soit. Au lieu de quoi, je concentrai l’intégralité de l’énergie qu’il me restait sur Auris et la lui insufflai avec force, priant les déesses pour que cela suffise à lui sauver la vie.
Ce fut ma dernière pensée avant que l’obscurité ne m’emporte.
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