Fyctia
Tangible
À la fin de la journée, Mitchy m’en voulait encore. Rompant nos rituels, elle ne m’attendait pas en salle d’études. Elle avait par ailleurs soigneusement ignoré mes messages. Je souhaitais son pardon, ce qui était sans compter ma fierté dévorante qui m’avait empêché d’admettre mes torts. J’étais une piètre meilleure amie et je le savais : au lieu de la soutenir ou d’au moins essayer de la comprendre, je dénigrais en permanence le fruit de ses recherches. Ma septicité tenace l’agaçait, pourtant elle s’était montrée patiente.
Jusqu’à ce que je la rejette une fois de trop.
Tiraillée entre regrets et incrédulité, j’empruntai mécaniquement le chemin qui me menait chez moi. Le macadam s’étendait à ma vue, vierge de la moindre présence. La population avait progressivement déserté les trottoirs, y compris les agents. La terreur régissait Georgetown et l’avait anesthésiée. Le soleil lui aussi rentrait chez lui et déclinait lentement à l’horizon. Unique point mouvant de la carte, je me plus à constater que les ruelles n’appartenaient qu’à moi.
Ma journée scolaire s’achevait tardivement en raison d’une option peu judicieuse, j’étais pressée de rentrer.
Dans un recoin, en bas d'un immeuble, à l'endroit réservé aux bennes, un mouvement furtif capta mon intérêt. Je m’infiltrai dans l’étroite impasse et plissai les yeux. Un enfant suivait-il mes traces téméraires en désobéissant à ses parents et en sortant jouer seul dehors ?
Amusée, je penchai la tête à droite, puis à gauche, et ainsi de suite jusqu’à identifier la cachette de l’intru. Je m’accroupis et observai. Sous les containers, je ne distinguai non pas deux pieds mais quatre pattes. Quatre énormes pattes.
L’absence notable d’autres personnes m’apparût soudain plus tragique que cinq minutes auparavant. Dans ma poitrine, mon cœur se mit à tambouriner.
Brusquement un chien, deux fois plus corpulent qu’un berger allemand, surgit. Large, il s’avança jusqu’au milieu de la venelle, replié sur lui-même. Un halo de méfiance accompagnait ses mouvements silencieux.
Il faisait de plus en plus sombre et j’allongeais mon retard. Cependant, terrorisée à l’idée qu’il m’attaque, je ne pris pas le parti de la fuite et veillai à ne pas bouger d’un centimètre.
— Salut toi, tu es tout seul ? Je suis gentille, ne me mords pas et je dirai que tu l’es aussi.
Au son de ma voix, il grogna, laissant apparaître ses crocs inondés d’écume.
— Gentil, Médor…
Son corps entier grondant en même temps que sa gorge, il diminua à nouveau la distance qui nous séparait. Son pelage troué et terne trahissait son origine nomade. Je n’avais pourtant jamais vu un chien sauvage si musclé. Sa mâchoire tout particulièrement dépassait les dimensions normales. Il détenait un regard luisant, vif, cerclé de noir. Je déglutis avec peine. Salive et respiration venaient à me manquer.
— Doucement…
Ma demande avait des tours de supplication. Le timbre guttural de son échange avec moi ne présageait rien de bon. J’étais une étrangère, sur ce qui devait être son territoire.
— Tu sais, commençai-je dans un élan de détresse, j’ai une amie qui est persuadée que vous, les animaux,
vous comprenez ce qu’on vous dit, mieux que nous le faisons entre nous. Alors, si tu comprends, je t’assure que je ne te veux aucun mal. Partons chacun de notre côté, tu veux ?
Impassible, il joua des épaules et gagna en centimètres. Il ne se tassait plus et pointait son museau en ma direction.
— Très bien, tu ne veux pas… Tu ne te montres pas très coopératif, permets-moi de te le dire.
Il inclina la tête, ce qui lui conféra immédiatement un air moins féroce.
— Si elle te voyait… Mon amie, je veux dire. Eh bien, elle me dirait sans doute que tu es mon animal totem, en raison de nos ressemblances flagrantes. L’agressivité, tout ça tout ça. Mais c’est stupide pas vrai ? Je ne sais même pas ce que tu es. Bon sang, je parle à un clébard, je ne suis vraiment pas dans mon état normal. Allez, va-t’en ! File ! Oust !
Je m’appuyai sur mes genoux pour me redresser, agitant les bras dans le but de l’effrayer et de le renvoyer dans ses retranchements. Ses poils s’hérissèrent et son grommellement félon endigua immédiatement mon initiative. La gueule fripée, les oreilles plaquées en arrière, il s’affaissa, tel un prédateur prêt à bondir.
— Oh Mitchy, Mitchy… Si seulement tu m’avais accompagnée ce soir…
Il leva une patte et l’avança. Ses griffes s’abattirent sur l’asphalte en un cliquetis sadique, tel le glas qui sonne la fin d’une existence. Les larmes se bousculèrent lorsqu’il poursuivit son avancée. J’étais prise au piège. Je décidai de fermer les yeux, refusant de voir la mort ramper ainsi vers moi. Aveugle, vulnérable, je tremblai à chaque raclement de ses griffes sur le sol et ne pus retenir un sanglot quand son souffle carnassier s’écrasa contre mon visage. De toutes mes forces, je luttai pour ne pas céder, pour ne pas permettre à mes paupières de se rouvrir.
Une perle de sel roula sur ma joue. Les spasmes dominaient mes nerfs. Ses poils chatouillèrent mes pommettes humides. Cette bestiole devait mesurer plus d’un mètre de hauteur et évoluait en cercle autour de moi. Autour de son futur repas.
Puis, je ne perçus plus sa présence.
La chaleur sanguinaire de son haleine ne m’immisçait plus dans mon col, ses halètements n’emplissaient plus mes tympans.
Alors, animée d’un soulagement sans nom, je voulus m’en assurer d’une œillade.
Face à moi, à à peine quelques pouces de mon nez, ses pupilles, ancrées aux miennes, se dilatèrent instantanément. Je glapis et tombai en arrière.
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Lydia4818
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Sandelina Antowan
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Lydia4818
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kleo
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Laureline Maumelat
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FeizaBabouche
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Lydia4818
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Debby M
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