Fyctia

Paris plage n'est pas aussi exceptionnel que ce ce que l'on m'a venté. Et ce n'est pas mon odorat qui vous dira le contraire. L'odeur âcre de mon voisin de serviette s'est incrustée sur moi et même après trois douches, deux passages de crème corporelle à la fleur d'oranger, elle ne veut pas me lâcher. De plus, je n'ai pu me mouiller le moindre orteil tant le monde engouffré dans l'espace d'eau était impressionnant. En revanche, mes cheveux étaient bels et bien trempés et je n'ai même pas eu le temps de remercier ces gosses et leurs pistolets à eau remplis de pisse ou de je ne sais quelle substance dérangeante.

Bref, Paris plage, merci mais non merci et cela m'aura valu qu'une seule journée d'occupation pour m'en rendre compte, c'est bien ma veine ça...

Afin d'obtenir une once de fraîcheur, le carrelage de ma salle de bain est le seul endroit parisien où il fait bon être allonger.

Les yeux rivés sur la moisissure du plafond, une seule pensée me vient à l'esprit: cette période estivale est encore plus chaotique que prévue.

La sonnerie de mon téléphone se met a retentir, excitée par cette action me promettant un moment d'échappatoire, je me lève précipitamment.

- AÏE !

Ne pas anticiper la distance entre ma tête et le rebord du meuble, une sacrée bonne idée...je me frotte le front, la douleur est intense et le résultat esthétique catastrophique. Postée devant le minuscule miroir, une jolie petite bosse se fait entrevoir. Toujours plus...

Je n'ai pas le temps de m'apitoyer sur mon sort, après s'être arrêtée la sonnerie est relancée. J'atteins, sans plus de difficulté cette fois, la table sur laquelle est posée mon cellulaire.

« - Allo?

- Pourquoi tu n'as pas répondu plus tôt, poupette?

- Ah mamie, désolée, j'étais...j'étais occupée.

- Occupée à quoi?

- À...à...je lisais.

- Tu n'as donc rien d'autre à faire de ton été? Ou es passé ton compagnon?

- il est...il est au travail.

- Ta valise est prête? Vous partez samedi, c'est bien ça?

- Exactement! Nous sommes tellement pressés.

- D'accord, fait attention à toi, promets le moi. Je vais encore m'inquiéter, tu as entendu parler de cet avion qui s'est écrasé sur...

- Mamie, ne t'inquiète pas, je te l'ai déjà dit, il y a davantage de risques d'accident en voiture qu'en avion.

- Mais ça n'arrive pas qu'aux autres ma poupette! Qu'est ce que je deviendrai moi sans toi? Et puis je ne sais pas, il ne m'aspire pas confiance ton bonhomme là.

- Mamie?

- Oui je sais, je sais tu vas encore me dire que  tu l'aimes et qu'il se comporte merveilleusement bien avec toi mais quand même cette fichue intuition ne me quitte pas et tu sais que je ne me trompe...

- ...rarement. Je sais mamie. Je te laisse, je te rappelle plus tard. Je t'aime.

- Je t'aime encore plus. »

La fin précoce de cet appel était nécessaire et indiscutable. Bien que disparus depuis deux jours, mes pleurs sont, de nouveau, entrain de me submerger. Quelle honte de mentir à mamie comme je le fais mais devoir lui avouer la vérité reviendrait à signer mon arrêt de mort. Et le sien au passage. Me savoir seule tout l'été la rendrait malade et je n'aurais aucune excuses valables pour refuser son invitation sur sa fichue île bretonne. Jusqu'à mes 18 ans, j'y ai passé l'intégralité de mes étés et hormis des bains de boue et quelques amis de passage, je n'en ai jamais rien tiré de bon. Ma génitrice passait son temps au bar du coin, papa passait le sien à pleurer, quant à mamie, elle essayait tant bien que mal de maintenir une certaine harmonie entre nous, en vain. Un rôle de pacificateur qui la fatiguait plus qu'elle ne le dira jamais. Des souvenirs que je préfère, aujourd'hui, enfouir au plus profond de ma mémoire.

Alors, retourner sur l'île de Groix cet été? Plutôt crever!

Au courant de toute l'histoire, je ne comprends même pas comment ni pourquoi Sophie a pu suggérer cette destination. De plus, mon amie a  passé plusieurs de ses étés avec moi là bas, elle est censée être la personne la mieux placée pour m'empêcher d'y retourner. Je n'ai pas envie de revenir blanche comme un cachet d'aspirine et encore moins blanche comme un cachet d'aspirine et dépressive.

Le bip émis par mon téléphone portable, indicateur de la réception imminente d'un SMS, me sors de mes fâcheuses pensées.

Sophie - 18:07

Sorry, sorry, elle a prêché le faux pour obtenir le vrai ! Comment j'aurais pu savoir moi

Je n'ai pas le temps de répondre, le nom et la photo de mamie Eugénie s'affichent sur l'écran.

«- Mamie, que puis-je faire pour...

- Petite menteuse! Pourquoi ne pas m'avoir dit que tu n'étais plus avec ce petit merdeux? Je sentais bien que quelque chose clochait dans ta voix! Heureusement que ta petite copine Sophie est là!

- Mamie...

- Viens donc à la maison, ça va te faire du bien! Je te prends tes billets. Et j'ai quelqu'un à te présenter, tu vas adorer!

- Mamie, c'est gentil mais...

- À demain, ma poupette d'amour! »

Situation dramatique. Situation tragique. Situation catastrophique. Situation cataclysmique. Situation...

Mince, je n’ai plus de situations en « ...ique ».

Assise sur le sofa, je ferme les yeux et sélectionne, intérieurement, les pires tortures physiques que je vais bien pouvoir affliger à cette traîtresse. Non mais comment a t-elle pu tomber aussi facilement dans le jeu de ma grand-mère?!

Mamie - 18:38

Billets de train achetés, regarde ta boîte mail. Je suis la mamie la plus heureuse au monde! À demain ma poupette d’amour. Ta mamie Eugénie qui t’aime tant

Depuis quand sait-elle écrire un sms sans faire le moindre impair? Mais surtout...depuis quand sait-elle acheter des billets sur internet?!

Connue pour être la reine des crapules, je mettrai mes deux mains à couper que la soudaine innocence de Sophie n'est pas du au hasard! Et qui est cette mystérieuse personne que mamie souhaite me faire rencontrer?

Prions le ciel pour que ces deux là ne soient pas de connivence...