Fyctia
Une comète dans la nuit
— Je serais curieuse de savoir ce que tu lui as dit, attaqué-je en croisant les bras sur ma poitrine.
Élouan s’adosse tranquillement à sa chaise.
— On a fait connaissance, élude-t-il. Il m’a dit que vous étiez dans la même boîte ?
Damned !
Un couvert heurte le fond de l’évier en inox dans un fracas métallique et je lève les yeux vers ma mère. La consternation et la colère se disputent la préséance sur son visage.
Tous aux abris !
— Il travaille avec toi ?
Merci Élouan !
Tu l’as un peu cherché.
À quel moment ?
— J'imagine qu'il est ton supérieur, insiste-t-elle en se tordant, plus qu'elle ne s'essuie, les mains dans un torchon.
— C'est le cas de tous les gens avec qui je travaille dans l'entreprise, tu sais ? répliqué-je avec désinvolture dans l’espoir d’apaiser ses craintes.
— Ne joue pas les malines, s’il te plaît.
Échec.
Par pitié, je ne veux pas avoir cette discussion. Et surtout pas maintenant !
Sur une échelle de 0 à 10, elle culmine à 2, grand max. Au même niveau d'enthousiasme qu’une épilation intégrale du maillot ou une visite chez le dentiste. Et encore !
C'est rassurant. Tu as quand même conscience qu'il y a pire.
Oui. Être larguée comme un mouchoir usagé par un Raphaël souriant arrive largement en tête de mes pires cauchemars.
J'espère pour toi que tu as des mouchoirs dans ce cas.
— Ce n'est pas mon supérieur direct, si ça peut te rassurer.
— Pas de panique, Éliane, intervient Élouan en scrollant sur son portable. C’est juste le Big Boss. Raphaël Frémont-Mignot, PDG de l’entreprise Mignot.
Il ne peut pas fermer sa grande bouche ?
Et comment il sait ça, lui, d'abord ? J’avais expressément demandé à Maïwen de ne rien dire à personne. Y compris à Élouan.
Il l’aura deviné en jouant avec Raphi dans le bac à sable.
— De mieux en mieux, vitupère ma mère en envoyant valser son torchon sur le plan de travail avec humeur.
— Il passe bien en photo. Tu as vu ?
Ma mère se penche sur le téléphone de mon ex avant de relever ses yeux effarés vers moi.
— C’est lui, souffle-t-elle, choquée. Le grand patron ? Gwenaëlle, tu as perdu la tête ?
Si vous saviez à quel point, Éliane.
— Et son frère est champion olympique de descente, remarque Élouan en sifflant admiratif. Y a de quoi se laisser éblouir.
Éblouir ?
Il est jaloux ou seulement un tantinet surprotecteur ?
Je penche pour la deuxième option, mais j’aurais préféré qu’il m’en touche deux mots en privé plutôt que de déballer mon linge sale en public en l'assaisonnant de préjugés fallacieux. D’autant que lui sait parfaitement que ma mère va me crucifier sur place.
Je foudroie le petit malin du regard et il lève les mains en l'air pour se dédouaner.
— Bon d’accord, je ne dis plus rien, se dérobe-t-il.
Maintenant que tu as mis le bazar ? C’est un peu tard, mon pote.
— Tu ne peux pas être naïve à ce point ! fulmine ma mère en abattant un couvercle sur une casserole comme un joueur de cymbales en plein final d'un concert symphonique.
Je sais qu'elle ne cherche qu'à me protéger mais ses mots me blessent, tant ils font écho à la voix de la raison dans ma tête.
Je m'abstiendrai de tout commentaire !
Ma mère approche et pose ses mains sur mes épaules.
— Ma chérie, je ne veux pas que tu souffres...
“... comme j’ai souffert.”
Voilà les mots qu’elle tait entre nous, mais que je devine pourtant. Seulement, je ne suis pas elle. Et mon histoire avec Raphaël n’a rien à voir avec celle de mes parents. Contrairement à ma mère, je n’aurai pas sept ans de félicité sur lesquels pleurer le reste de mes jours. Raphaël n'est qu'une comète dans la nuit. Qu'importe à quel point la lumière brûle entre nous, elle s'éteindra toujours trop vite.
Mais je refuse qu’on me gâche ce plaisir. Aussi éphémère soit-il.
Je me dégage des mains de ma mère et du poids du chagrin qu’elle traîne derrière elle, et revendique haut et fort :
— Et moi, je veux profiter de ce qui m'est offert. Qu'importe ses motivations. Qu’importe si je dois compter en années ou seulement en jours. Je veux être heureuse. J’ai le droit d’être heureuse.
— Bien sûr, mais…
Je ne laisse pas le temps à ma mère de contre-argumenter.
— Vous voulez me protéger ? Parfait ! Dans ce cas, faites en sorte que chacun passe un bon Noël et laissez-moi gérer ma vie et mes amours comme je l'entends.
Élouan se racle la gorge et d'un léger signe du menton m'indique la direction du balcon. Emportée dans mon élan, je n'ai manifestement pas entendu la baie vitrée coulisser dans mon dos puisque Raphaël est avec nous dans la salle. Il range son téléphone dans sa poche, en nous observant tour à tour.
— Allons chercher nos sacs, proposé-je avant qu’il ne s’invite dans le débat.
Je ne veux même pas imaginer quelles conclusions il peut tirer de ma déclaration.
Je gagne l’entrée, enfile mes bottines et m’échappe de la maison. Arrivée à la voiture, je lève les yeux vers le ciel et inspire profondément pour chasser les larmes qui brouillent ma vue et noient les étoiles dans l'obscurité.
Dire que je bataille depuis des jours pour être avec eux ce soir et pour quel accueil ? M’entendre dire que je ne suis qu’une sotte écervelée qui s’est laissée "éblouir" par quoi ? L’argent ? Le pouvoir ? Le prestige ?
— Gwenaëlle ?
Le ton hésitant de Raphaël, dont les pas approchent, m’incite à fermer brièvement les yeux. Deux larmes s’échappent au coin de mes paupières.
Raphaël pourrait être le coursier de la boite, je serais quand même tombée amoureuse de lui. Simplement parce qu’il est… lui.
— Je peux faire quelque chose ? me demande-t-il doucement en posant sa paume dans mon dos.
J’essuie mes joues et cache mes larmes derrière un sourire tremblant.
— Me proposer un câlin ?
— Alors viens, m’invite-t-il en m'attirant tendrement entre ses bras.
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Petit bonus du week-end 😘
4 commentaires
mimi cracra
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Il y a 3 mois
Leone
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Il y a 3 mois
kayden1704@
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Il y a 3 mois
ambre_revant
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Il y a 3 mois