Fyctia
Chap 1- Mathilde
"Mais vous êtes sûre ?"
Monsieur Leroi me regarde d’un air inquiet, pendant que je termine de compter le nombre de petits haricots que je viens de voir sur l’écran de l’échographe. Ma main caresse la tête de la jolie chatte tigrée allongée sur la table. Elle se laisse gentiment ausculter, la tête de l’appareil posé sur son ventre, et je balaie doucement de gauche à droite.
"Oui, Monsieur Leroi, Minouchette va vraiment avoir des petits…"
Je viens d’annoncer au gentil papi que la chatte attend des petits, j’ai vu au moins 6 fœtus, il va falloir que je prenne des pincettes parce que c’est pas ma patiente que je sens s’évanouir, mais son propriétaire.
"Vous devriez vous asseoir, Monsieur Leroi," je dis le plus calmement possible. "Je vous sens un peu fébrile sur vos jambes ?"
Je dis les choses telles qu’elles sont, et les clients apprécient mon honnêteté et ma franchise. Donc, je continue :
"Je ne comprends pas que mon confrère ne vous l'ait pas confirmé?"
"Mais je l'ai pas cru, Mademoiselle," geint le papi, visiblement perdu après ce que je viens de lui annoncer. "Donc je suis venu ici prendre un autre avis, vous êtes réputés dans la région, tout le monde parle de vous…"
C’est vrai que la Clinique « Aux Petits Soins » tourne à plein régime depuis que papa s’est installé, il y a trente ans, et encore bien plus depuis qu’il a agrandi en investissant dans un bâtiment flambant neuf en zone artisanale. Il y a de la place pour se garer, c’est un confort indéniable pour les clients.
J’éteins l’appareil à échographie, essuie le bidou de Minouchette et je la laisse rentrer dans sa caisse de transport. Les chats ne se font jamais prier quand on leur propose de retourner dans leur petite maison, après le soin.
"Minouchette a encore un peu plus d’un mois avant de mettre bas," j’explique à Monsieur Leroi, pendant qu’il referme la caisse de transport. On va s’organiser pour la suite, d’accord ?
"Oui, vous allez tout m’expliquer," il me dit. "On va pouvoir mettre une annonce sur votre panneau pour chercher à donner les petits ?"
"Bien sûr."
Je termine de ranger la salle de soin quand Monsieur Leroi est parti, c’était mon dernier client. Je suis restée un peu tard, papa est rentré chez lui et mon frère Bruno est encore là, je l’entends siffloter, il fait les dernières vérifications des cages de nuit. Suzanne, notre assistante, m’a tout préparé pour cette dernière consultation, l’écran sur la fiche du patient , le carnet de vaccinations ouvert à la bonne page, je n’ai plus qu’à cliquer pour confirmer. J’éteins l’ordinateur, et comme à chaque fois que je suis assise là, mon regard glisse vers la photo de famille, posée à côté de l’ordi. Et comme à chaque fois, mon cœur se serre en regardant maman qui sourit à l’objectif, nous tenant, Bruno et moi, collés à elle. Papa se tient derrière nous, les mains sur ses épaules. Six mois plus tard, et elle n’était plus. Et sur la photo, nous étions cinq. Pas quatre. Je ne le savais pas encore.
Mon téléphone fait son « ping » de notification et machinalement, je déverrouille l’écran.
C’est sans doute Delphine qui me demande ce qu’on mange ce soir. Et qui me confirme qu’elle a récupéré Lilou chez la nounou. Delphine. Que ferais-je sans elle ? Que serais-je devenue sans elle ? C’est ma meilleure amie, mon ange gardien, ma bouée de sauvetage.
Il y a cinq ans, elle a tout quitté ici pour me rejoindre à Lyon pendant que j’étais à l’école, et elle m’a sauvée de ma descente aux enfers, après ce tsunami qui a submergé ma vie. Enfin, les deux tsunamis. La seconde vague ayant fini de consumer ce qui me restait de ma force mentale. Gérer le décès de maman et ma grossesse surprise, ça a juste été le parcours du combattant.
Je regarde l’écran, je suis surprise de voir que dans petit bandeau blanc, ce n’est pas un texto de Delphine qui s’affiche, mais le petit cœur, le logo caractéristique du site de rencontre, sur lequel ma bouée de sauvetage a cru bon de m’inscrire la semaine dernière.
Non mais quelle idée j’ai eu de lui dire ok ? Comme si j’étais pas capable de me remettre en selle comme une grande ? Hé, les gens, j’me suis cognée 7 ans d’études, à fond les ballons, sans faillir, en gérant mon quotidien loin de ma famille, toute seule ( enfin non, pas complètement toute seule, il y avait Delphine) et ce quotidien était quand même très, très chargé, avec le truc qui me ressemble comme deux gouttes d’eau sauf pour la couleur de ses cheveux et qui s’appelle Lilou?
Ouai.
Je me fais mousser, là, mais bon. Certes.
Il faut quand même se rendre à l’évidence, que ma vie amoureuse est un électro-encéphalogramme plat. Et que oui, après toutes ces années la tête dans le guidon, je ressens un peu l’envie d’autre chose que boulot, métro, dodo. J’ai envie de baisers torrides sous une porte cochère et de mains qui me caressent partout. Même s’il va falloir se lever tôt pour la trouver, cette porte cochère.
Ou la la, Mat’, on se calme, tes lectures de romans d’amour sulfureux n’arrangent pas la situation. Et puis ? est-ce qu’il y a quelqu’un pour moi quelque part, d’abord ? Qui ne va pas renoncer après le premier rencart ? J’ai mis la barre tellement haut…va falloir que le gars fasse preuve de beaucoup d’imagination pour me séduire. Le pauvre, il est pas rendu, celui qui va réussir à casser la carapace que je me suis construite autour de moi depuis tout ce temps.
Mon Dieu, je suis blasée.
J’ouvre la notification qui me dirige directement vers l’appli du site. Un gars a vu mon profil et m’a envoyé un coup de cœur. Je souris, parce que c’est le premier que je reçois. Bon, faut dire que je me suis mal vendue en mettant une photo de moi et de Louna, le gros bouvier des Flandres de papa. Moi, avec mes lunettes de soleil. Genre je me planque et j’attends de voir qui va oser s’approcher. Je regarde la photo du gars qui m’a « sélectionné » (mais on dit ça comment ? on dit sélectionné ? choisi ? ouai, bon, vous m’avez compris, et puis vous m’excuserez, je suis novice en matière de site de rencontres). En regardant de plus près je découvre un gars brun, et lui aussi a mis son chien sur sa photo de profil. Un berger belge. Très beau, d’ailleurs. Tout comme a l’air d’être son maitre, quand je vois l’autre photo qu’il a déposée. Une où pose sur son VTT. Un sourire sympa, des yeux rieurs et une bouche qui donne envie d’être embrassée. Stop Mat’, ne t’emballe pas, il a peut-être une haleine de poney. En tout cas, le charme opère, car je clique sur sa fiche. Je lis qu’il aime la cuisine, qu’il fait beaucoup de sport, qu’il a un métier passionnant. Informations classiques.
Alors, je confirme le coup de cœur ou pas ? Mat’, ça t’engage à rien, d’autoriser un gars à t’envoyer des textos ? C’est pas comme si t’allais te marier au premier regard ? Mon doigt clique sur « confirmer ». De peur que le téléphone explose sur le bureau, je le glisse dans ma poche, je vais récupérer mes affaires et dire à Bruno que je rentre chez moi.
9 commentaires
Scarlett Owens
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Il y a 4 ans
Miss Ladybug
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Il y a 4 ans
Chloé P
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Il y a 4 ans
Une_fille_qui_ecrit
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Il y a 4 ans
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Chloé P
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Princilia Daci
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Il y a 4 ans
Miss Ladybug
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Il y a 4 ans